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ne dépend en rien des tarifs, ou comme la Société d’agriculture de Grenoble, dont le rapporteur s’exprime ainsi : « Il n’y aurait que des droits énormes, équivalant à la prohibition, qui pussent donner le moyen de lutter contre le bas prix des laines ; cette exagération de tarifs n’étant plus dans l’esprit du temps, les éleveurs n’ont qu’à suivre l’exemple de l’Angleterre, qui a passé par la même épreuve ; ils doivent chercher un dédommagement dans la production de la viande. » Les seconds pensent comme le comice de Saint-Quentin, qui demande un droit d’entrée sur les laines étrangères, tout en conseillant de diriger l’élevage dans le sens de la production de la viande, ou comme le comice de Château-Thierry, qui donne le même conseil, et qui souhaite aussi l’établissement d’un droit fiscal dont le produit serait employé à l’amélioration des pays producteurs de laine, ou comme le comice d’Apt, qui désire qu’on soumette au paiement d’un droit les laines étrangères, en attendant que la création de nouveaux canaux, la réduction des prix de transport, etc., permettent de trouver dans le commerce de la viande une compensation réelle.


III

Ainsi, aux yeux de la grande majorité des agriculteurs, la plus grosse question à résoudre, presque la seule, c’est la transformation des races ovines. Une première fois la France a non-seulement transformé, mais presque supprimé ses vieilles races nationales pour se peupler tout entière des mérinos espagnols et de leurs métis. Ce fut alors un progrès très considérable, digne de justifier la passion qu’il excita. A l’heure où nous sommes, les circonstances sont bien différentes : ces belles laines fines qui longtemps ont fait l’honneur de notre agriculture ne se vendent plus qu’à vil prix, écrasées par une concurrence contre laquelle ce serait folie de se révolter ; en même temps la viande manque, la viande que nos éleveurs comptaient naguère pour peu de chose, que la consommation demande pourtant chaque jour davantage, et qui chaque jour aussi se vend plus cher. Elle manque tellement que, si nos marchés du nord n’avaient été envahis par des bandes de moutons allemands, et nos marchés du midi par des troupeaux de moutons espagnols, piémontais ou africains, sans parler des bœufs, les campagnes n’auraient pu suffire aux besoins des cités, et nous aurions connu, depuis plusieurs années, les prix de disette. Ce qu’il est urgent de faire, nous venons de le signaler : il s’agit de substituer aux mérinos tardifs des moutons plus précoces, comme les mérinos eux-mêmes ont pris autrefois la place des troupeaux primitifs. Il n’est pas nécessaire qu’un grand nombre d’années s’écoulent pour que là transformation puisse s’opérer ; elle se fait déjà dans les