Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/693

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un pied dans la collection du Musée britannique à Londres, à une tête à Copenhague oubliée pendant deux cents ans et retrouvée par hasard, à un bec à Prague, dont la trouvaille a été plus tardive.

Ces misérables débris et les images dont il a été question, examinés et comparés à divers points de vue, ouvrirent le champ aux discussions. Un seul fait était évident pour tous les yeux, le caractère très particulier, très anormal du dronte. Des naturalistes, comme il arrive ordinairement, frappés d’abord de particularités d’ordre secondaire, signes d’une adaptation à un genre de vie spécial, tenaient compte par-dessus tout de l’état rudimentaire des ailes chez l’oiseau de l’île Maurice. Une condition semblable des organes du vol existant chez les autruches et les casoars, vint l’idée d’un rapport plus ou moins étroit entre le dronte et ces oiseaux. En s’arrêtant à une considération de même nature, on fit un rapprochement tout aussi peu justifié avec les pingouins et les manchots. Le professeur de Blainville, se préoccupant plus que de toute autre chose de la forme du bec, vit dans le dodo un représentant du groupe des vautours. Un rapace incapable de voler, inhabile à poursuivre une proie, nous semblerait pourtant un être bien extraordinaire ; il faudrait supposer dans ce cas que des limaces, des insectes, des vers, étaient la nourriture habituelle de l’animal, la ressource des cadavres ne pouvant guère exister dans un pays dépourvu de mammifères, comme le sont les îles Mascareignes. On a supposé que le dronte avait des affinités avec les gallinacés, c’est-à-dire les coqs, les pintades, les dindons, avec certains échassiers, qu’il représentait un type intermédiaire entre diverses familles de la classe des oiseaux ; on a tout supposé enfin, sans atteindre la vérité, tant que l’étude n’a pas été suffisante. M. Reinhardt, ayant examiné avec soin le crâne de dronte conservé au musée de Copenhague, crut apercevoir des caractères indiquant une relation zoologique entre l’oiseau de Maurice et les pigeons. Quelques années plus tard, la question fit un grand pas ; M. Strickland, tirant le meilleur parti de tous les matériaux qu’il était possible de se procurer, mit au jour en 1848 un important travail sur le dronte. Les pièces dont nous avons indiqué la présence au musée d’Oxford, une tête et un pied, avaient été dépouillées des tégumens, de façon à permettre l’étude des parties osseuses ; un singulier pigeon, le Didunculus, ayant un gros bec recourbé, des ailes peu développées, des pieds bien conformés pour la marche, avait été découvert aux îles Samoa par un savant américain. Ce pigeon, rappelant un peu les traits et les allures du dronte malgré sa petite taille, fournissait un nouveau terme de comparaison des plus précieux. M. Strickland a réussi de la sorte à démontrer que le dodo se rapprochait d’une manière remarquable des oiseaux de la famille des colombides, c’est-à-dire des pigeons.