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dernier, mais un peu plus crochu. Ils n’ont presque point de queue, et leur derrière, couvert de plumes, est arrondi. Plus haut montés que les coqs d’Inde, ils ont le cou droit et assez long. L’œil est noir et vif, et la tête sans crête ni houppe. La femelle, dit notre voyageur, est d’une beauté admirable ; il y en a de blondes et de brunes, ornées sur le front d’une marque semblable à un bandeau de veuve, et sur le jabot d’un plumage plus blanc que le reste. Elles marchent avec tant de fierté et de bonne grâce tout ensemble, qu’on ne peut s’empêcher de les admirer et de les aimer, de sorte que souvent leur bonne mine leur a sauvé la vie. Sur tout leur corps, une plume ne passe pas l’autre, tant elles prennent soin de les ajuster et de les polir avec le bec. Les solitaires ne volent point ; ils ne se servent de leurs ailes, trop petites pour soutenir le poids du corps, que pour se battre ou faire le moulinet quand ils s’appellent l’un l’autre. On a bien de la peine à les prendre dans les bois, ajoute Leguat ; mais on court plus vite qu’eux, et dans les lieux dégagés il n’est pas difficile d’en prendre. Depuis le mois de mars jusqu’au mois de septembre, ils sont extraordinairement gras, et le goût en est excellent, surtout quand ils sont jeunes. On trouve des mâles qui pèsent jusqu’à 45 livres. Ces oiseaux, voulant construire un nid, font choix d’une place nette, réunissent quelques feuilles de palmier, et élèvent la construction à un pied et demi au-dessus du sol ; ils ne pondent qu’un œuf à la fois, et le mâle et la femelle couvent alternativement pendant sept semaines, la durée nécessaire pour l’éclosion du jeune, qui pendant plusieurs mois ensuite réclamera l’assistance de ses parens. — Les beaux oiseaux de Rodriguez, appelés les solitaires parce qu’ils vont rarement en troupes, étaient abondans dans l’île, lorsqu’ils faisaient l’admiration d’un naturaliste français à la fin du XVIIe siècle. En peu d’années, ils ont été tous détruits, et des os encroûtés de stalagmite permettaient seuls de s’assurer que l’espèce décrite par Leguat était d’un genre inconnu ailleurs, lorsqu’un investigateur anglais, M. Newton, entreprit de fouiller les cavernes et les terrains meubles de la petite île de Rodriguez. Plus de deux mille pièces, derniers vestiges de l’oiseau disparu, furent recueillies. L’étude de ces misérables restes a été faite avec le plus grand soin, et nous savons maintenant que le solitaire représentait un type particulier, offrant des affinités étroites avec le dronte et les pigeons. Un curieux détail est venu donner pleine confiance dans les observations de Leguat. Notre voyageur avait dit, en parlant des mâles de l’oiseau de Rodriguez : « L’os de l’aileron grossit à l’extrémité et forme sous la plume une petite masse ronde comme une balle de mousquet ; cela est, avec le bec, la principale défense de l’oiseau. » La petite masse ronde a été trouvée sous la forme d’une saillie osseuse sur la partie du membre qu’on appelle le métacarpe.