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croyant sûre d’une victoire qu’on ne pouvait plus lui disputer, elle voulait d’avance fermer toute issue à une paix de transaction et d’équité. Paris et la France ne se sont pas fait répéter deux fois ces brutalités, qui n’étaient peut-être qu’une jactance diplomatique de la force. En définitive, trois semaines après que M. de Bismarck posait ainsi la question dans ses conversations avec M. Jules Favre, quelle est la situation de la Prusse campée sous Paris et engagée dans un tel siège ? La vérité est qu’elle ne peut ni entrer ni s’en aller. Elle a été trompée, elle s’est trompée elle-même ; elle a cru qu’elle n’avait qu’à se présenter, qu’elle allait surprendre la France en pleine désorganisation militaire, elle a trouvé une défense calme, intrépide, résolue, prête à recommencer sous Paris et dans de plus vastes proportions la vigoureuse campagne que Bazaine poursuit encore, il faut l’espérer, sous les murs de Metz. Ce mois de siège a déjà déconcerté les calculs qu’elle avait pu fonder sur des difficultés militaires d’un moment, et des actions sérieuses, conduites avec autant de prudence que de hardiesse, qui prouvent que le sol de la France n’est pas épuisé de soldats. Elle a fait aussi entrer dans ses prévisions, comme gage d’un infaillible succès, la lassitude de l’isolement pour une grande ville, l’impossibilité d’approvisionner pour longtemps une population de 2 millions d’habitans. L’isolement, Paris le supporte avec une philosophie presque imprévue, sans s’inquiéter outre mesure du reste du monde, qui fait pour le moment une assez triste figure en vérité, et, quant à la famine, il n’est point certes encore à la veille d’affronter ce fléau, qui ne deviendrait un péril que si d’un côté la distribution des vivres n’était point ménagée avec vigilance, si d’un autre côté les lignes ennemies, étaient impénétrables, si la France restait immobile. C’est une crise, on le sait bien, elle passera comme toutes les crises, et ce n’est point peut-être tant que les Allemands seront là qu’elle offrira les dangers les plus redoutables.

La Prusse enfin a une dernière espérance, et M. de Bismarck ne l’a point caché ; elle a compté, elle compte encore sur les dissensions intérieures, sur les divisions, sur les passions qui faciliteraient singulièrement son œuvre en commençant par faire elles-mêmes le siège du gouvernement. Pour ceci, et ce n’est point assurément l’affaire la moins importante aujourd’hui, la question est de savoir si nous voulons donner raison à la Prusse et ébranler les portes de la maison devant l’ennemi. Il est bien clair en effet que l’efficacité de la défense nationale dépend de l’union des esprits, de l’alliance désintéressée de tous les patriotismes, de la fusion momentanée de tous les partis dans un sentiment unique, et nous ajouterons aussi de la fermeté du gouvernement lui-même, de sa fidélité à la mission qu’il a reçue dans un désastre public, qui a été spontanément, implicitement ratifiée dès la première heure par une sorte d’assentiment universel.