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Rêve étrange d’esprits aussi étroits que violens et figés en quelque sorte dans leur violence, dans un fanatisme révolutionnaire ! Ils ont l’hallucination de 1793. Quand ils ont prononcé ce mot cabalistique, ils croient avoir tout dit ; quand ils ont décroché de ce vieux et terrible musée de l’histoire une forme de langage, une date ou quelque vieux souvenir, ils croient qu’ils ont soufflé la vie au monde, et ils ne s’aperçoivent pas que le monde marche sans eux, qu’on ne refait pas le passé, que chaque époque a sa politique, ses idées, ses intérêts et même ses passions. Ils ne voient pas que 1870 ne ressemble guère à 1793, et que ce qui a peut-être sauvé le pays autrefois le perdrait à coup sûr aujourd’hui, que cette révolution qu’ils proposent sans cesse d’accomplir ou de recommencer est faite depuis longtemps, et qu’il n’y a plus qu’à l’épurer, à l’étendre pacifiquement dans ce qu’elle a de légitime, à la défendre quelquefois contre ses ennemis et plus souvent encore contre ses dangereux amis. Ils ne voient rien et ils ne comprennent rien, ils leur faut seulement 1793, la commune, la convention, les comités de salut public, l’emphase, la déclamation, la haine. Ils sont un anachronisme vivant. Il est fort difficile de faire comprendre à de tels esprits qu’ils battent misérablement la campagne, qu’ils vont même contre leur but, qu’ils subordonnent l’intérêt, le patriotisme de tous à leurs ambitions ou à leurs ressentimens, qu’ils ne feraient rien et qu’ils compromettraient tout. Ce qu’ils compromettraient plus que tout le reste, et cela instantanément, irrésistiblement, c’est la défense nationale et la république elle-même.

Les agitateurs peuvent bien, s’ils le veulent, se déguiser à eux-mêmes les mobiles de cette triste politique d’excitation et de désorganisation qu’ils ont inaugurée dans leurs polémiques comme dans leurs manifestations. À les entendre, c’est évidemment dans un intérêt public qu’ils ont poussé le cri d’alarme, c’est pour imprimer à la défense nationale une intensité nouvelle et plus énergique qu’ils ont demandé la commune révolutionnaire, c’est parce que le gouvernement de l’Hôtel-de-Ville est insuffisant et ne fait pas tout ce qu’il doit pour la satisfaction des patriotes qu’ils se dévouent jusqu’à vouloir le remplacer. Le patriotisme est le passeport de leurs déclamations révolutionnaires. Que serait-il arrivé cependant s’ils avaient réussi ? Oui, que serait-il arrivé ? Mais il suffit en vérité de connaître les désirs, les espérances des Prussiens, pour avoir une opinion dans une telle affaire. L’éventualité sur laquelle l’ennemi comptait le plus, qui est peut-être sa dernière chance, se trouvait réalisée. Ce qui serait arrivé, c’est d’une cruelle et aveuglante évidence. Les citoyens, mis en présence d’un scrutin ouvert par la main d’une faction, auraient bien été obligés bon gré mal gré de s’inquiéter de ces élections. Les scissions auraient inévitablement éclaté, il y aurait eu à l’intérieur des vainqueurs et des vaincus, et, au lieu de