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et les symptômes qui me soutiennent et me rassurent ; puisque vos colonnes ne sont qu’à demi pleines, si vous voulez, nous allons en causer.

Et d’abord, jusqu’au 1er septembre, je ne vois pas un jour, pas une heure où notre expiation se soit interrompue. Échec sur échec, faute sur faute, pas le moindre répit, pas un sourire de la fortune, pas l’ombre d’une consolation. Bazaine lui-même, ce fécond capitaine, et ses héroïques soldats, s’ils vengent notre honneur dans des flots de sang ennemi, sont impuissans à nous porter secours. Nous voyons là, vivans, nos meilleurs généraux, notre plus ferme armée, et n’en pouvons rien faire ; c’est comme une ironie du sort. Eh bien ! notre supplice ne se borne pas là : tout n’est pas expié. Nous fûmes agresseurs, nous en devons porter la peine, il faut un affront de plus : il faut encore Sedan, l’ignominie suprême, le dernier mot, la digne fin de l’empire. Pour cette fois du moins, la mesure paraît comble ; l’empire n’est plus, tout va changer.

Regardez nos envahisseurs : que font-ils depuis Sedan ? qui les conduit ? Est-ce encore la fortune, la bonne chance, tranchons le mot, l’esprit de Dieu ? Non ; d’apparence ils sont encore les mêmes, ils marchent, ils s’avancent avec le même aplomb, la même discipline : ils sont aussi prudens, aussi rusés, aussi habiles ; mais la cause qu’ils servent, ils en ont conscience, n’est plus la même depuis Sedan. Ils ne sont plus les soldats de l’Allemagne, ils sont les instrumens d’un autre Napoléon III ; au lieu de répondre à un défi de souverain, ils s’attaquent à un peuple ; de provoqués, on les a faits provocateurs. Le droit et la justice ont déserté leur camp pour passer dans le nôtre. Croyez-vous que ce changement de condition et de consigne ne se trahisse pas dans leurs actes ? Vous me direz qu’ils ont sans coup férir entouré de leurs lignes cette vaste capitale dont l’investissement passait pour impossible. J’en conviens, mais depuis cet exploit, qui n’était que la suite de leur première veine, et que nous étions encore hors d’état de leur disputer, depuis ce succès facile, depuis tout à l’heure un mois, qu’ont-ils fait ? Des tentatives incertaines, des ouvrages aussitôt démolis, pas une approche sérieuse. Au lieu de nous étreindre chaque jour davantage, leur cercle tend à s’élargir. N’allez pas croire que je me leurre d’être déjà délivré d’eux ! Nous n’avons pas leur dernier mot, nous essuierons leur feu, j’en suis certain : en fait de surprise et de ruse, je sais ce qu’on peut en attendre. Derrière les travaux visibles démolis par nos forts, il doit s’en trouver d’invisibles que bientôt ils démasqueront ; mais quelle qu’en soit la force et la portée, ce n’en est pas moins péniblement, sans entrain et sans grande assurance qu’ils les ont établis. Rien ne ressemble moins à l’activité foudroyante des premiers temps de là campagne que les tâtonnemens et les retards d’aujourd’hui.