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discordes sous cette égide ont meilleure chance de s’étouffer, — que ce gouvernement du pays par le pays, cette noble institution si belle en théorie, n’est pas dans la pratique nécessairement incompatible avec l’ordre et la paix, qu’elle ne fait pas tomber nos têtes et qu’elle sait vaincre nos ennemis, croit-on qu’après la délivrance l’idée leur vienne de chercher mieux ailleurs ? Qui de nous lui serait infidèle une fois qu’elle nous aura sauvés ? Ainsi M. de Bismarck aura fait à l’Europe cette galanterie d’implanter enfin pour de bon la république en France. Tout cela, vous en conviendrez, n’est pas d’un politique. Or comme en ce moment je ne vois pas en Europe un esprit plus vraiment politique que le chancelier fédéral, j’en conclus que depuis Sedan il a cessé d’être lui-même, qu’il subit la sévère influence d’un pouvoir supérieur qui veut le châtier à son tour et qui commence par l’aveugler.

Mais ce n’est pas assez que l’armée prussienne nous paraisse hésitante, et que son chancelier se fourvoie ; nous avons pour prendre confiance un motif encore plus décisif, c’est de regarder Paris. Dans les premiers jours de septembre, on peut en convenir maintenant, le dessein d’engager Paris dans un siège à outrance n’était qu’une crânerie tant soit peu théâtrale, qui supportait mal l’examen ; aussi personne n’y voulait croire. Quand vous disiez aux gens de faire des provisions, il fallait voir de quel œil et avec quel sourire ils accueillaient votre conseil. Peut-être alors en avaient-ils le droit, car, à vrai dire, rien n’était prêt. Nous n’étions pas à Paris mieux en état de soutenir un siège au lendemain de Sedan que nous n’étions le 2 août en position d’attaquer l’Allemagne. Néanmoins cette crânerie, que les Prussiens évidemment auront prise pour une gasconnade, est aujourd’hui l’acte le plus sensé, le plus réel, le mieux justifié, et la raison l’approuve aussi bien que le patriotisme. Non-seulement nos remparts sont maintenant achevés, fortement protégés à tous les points vulnérables, munis de bons canons, de poudrières, de munitions sans fin, d’abris, de casemates, mais nous avons, ce qui est plus rare, de merveilleux pointeurs, d’héroïques canonniers de marine ; nous avons une armée de ligne qui a repris sa vigueur, ses goûts de discipline et l’amour du métier, ne se souvenant plus de nos désastres que par la soif de les venger ; nous avons d’innombrables mobiles, avant-garde des armées de secours que la province nous envoie, milice aux mâles et honnêtes visages, marchant de ce pas décidé qui n’appartient qu’aux gens de cœur. Le courage semble les faire grandir, tant ils sont tous de haute taille : ils sont arrivés enfans, et les voilà déjà transformés à vue d’œil en vieux et solides soldats. N’oublions pas enfin cette autre et puissante enceinte qui couvre la cité, les poitrines de la population virile tout entière, ces 300,000 gardes nationaux rivalisant, eux aussi, à la manœuvre et aux remparts avec nos meilleurs vétérans.