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fusée est très facile à régler pour obtenir l’éclatement aux distances qu’il convient au canonnier de choisir. Au contraire, dans le système du chargement par la culasse adopté par l’artillerie prussienne, le projectile, sortant d’une chambre dont le diamètre est légèrement plus large que celui du canon et se forçant hermétiquement dans les rayures que la ductilité de sa chemise de plomb lui permet de remplir exactement, ne saurait allumer au feu de la pièce qu’il laisse derrière lui une fusée qui ne peut être placée ailleurs qu’en tête du projectile sous peine de faire éclater le canon lui-même. Il s’ensuit que l’on est alors obligé d’employer au lieu de fusée un appareil percutant qui est de fabrication délicate, sujet à rater, comme il est arrivé il y a quelque jour, et qui est surtout très difficile à régler. En outre les projectiles qui éclatent ne le font qu’au point de leur chute et sans pouvoir ricocher, ce qui est un des effets les plus dangereux de l’artillerie. Ajoutons, quoi que l’on en ait dit, que les pièces engagées par les Prussiens dans la bataille du 19 septembre paraissaient ne plus produire d’effet utile au-delà de 2,500 mètres ; mais n’oublions pas aussi, pour ne rien cacher, qu’à cette distance leur tir était remarquablement juste, régulier, méthodique, comme il appartient à des troupes bien instruites et bien disciplinées.

Le parti le plus sage serait donc de construire autant de fusils chassepots, de canons de campagne des calibres de 8 et de 12 que possible, car nos pertes ont été grandes en armes de ce genre. Quant aux canons de siège ou de rempart, ils sont en abondance, et si l’occasion ne s’est pas encore présentée de les comparer à leurs semblables de l’artillerie prussienne, on est cependant tenté de croire, en voyant ce qu’elles savent faire chaque jour aux batteries de nos remparts, qu’elles n’ont pas à redouter la comparaison. Du reste, l’expérience va sans doute se faire dans très peu de jours, et bien avant que l’ennemi ne nous ait accordé le temps qui serait nécessaire pour construire aucune des pièces que l’on propose.

Ayons donc confiance dans nos armes et dans la valeur de cette jeune armée dont les merveilleux progrès éclatent à tous les yeux, ayons surtout en nous-mêmes la confiance que doit nous inspirer tout ce que nous avons déjà su faire depuis que nous sommes soumis à cette cruelle, mais glorieuse épreuve ; avec du calme et de la fermeté, nous devons en sortir à la confusion de nos ennemis. Ils avaient dit que Paris ne tiendrait pas huit jours, et depuis bientôt un mois non-seulement Paris tient encore, mais même il est plus décidé que jamais à se défendre.


XAVIER RAYMOND.


C. BULOZ.