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le nombre des enfans exposés. » L’hôpital avait parfois des bonnes fortunes singulières. Le 2 février 1786, raconte Bachaumont, un M. de Challet, fermier-général sans enfans, avait adopté une petite fille trouvée qui devint plus tard Mme de Ville, et à laquelle, après la mort de sa femme, il remit une somme de 100,000 écus provenant de l’héritage de celle-ci. Mme de Ville, reconnaissante des soins qu’on avait pris d’elle dans la maison hospitalière qui l’avait recueillie, employa cette grosse somme à fonder une rente annuelle de 15,000 livres au profit de l’œuvre établie par saint Vincent de Paul.

La révolution, en brisant les privilèges sur lesquels était assise en grande partie la fortune des enfans abandonnés, se trouva en face de difficultés très graves ; elle les envisagea avec calme et les accepta courageusement. Tous les hospices, tous les hôpitaux, furent autorisés à recueillir les enfans trouvés ; le trésor national devait se charger des frais de leur entretien. La constitution de 1791 proclame hautement pour la nation le devoir de les élever ; la loi du 28 juin 1793 dit : « La nation se charge de l’éducation morale et physique des enfans trouvés ; ils seront désormais désignés sous le nom d’orphelins ; toute autre dénomination est interdite. » Avec une grande habileté et pour diminuer les dépenses de l’état, la même loi promet des secours et « le secret le plus inviolable » aux filles-mères qui voudront allaiter leur enfant. Le 4 juillet 1793, on va plus loin, et l’on dépasse le but. A force de vouloir rompre avec le passé, qui imprimait une note d’infamie au fils illégitime, les législateurs de la convention semblent donner un encouragement à la débauche, car la loi qu’ils édictent promet aux filles-mères que leurs enfans seront indistinctement adoptés, et qu’on les appellera désormais les enfans de la patrie. L’état misérable du trésor, dépouillé d’espèces métalliques et gorgé d’assignats illusoires, ne permit pas à un tel projet de sortir en réalité du domaine de la théorie. Il y eut cependant un commencement d’exécution : par décret du 7 ventôse an II, les enfans de la patrie furent installés au Val-de-Grâce ; mais dès le 10 vendémiaire un nouveau décret les fit transporter dans les bâtimens de Port-Royal et dans ceux de l’Institut de l’Oratoire. Les anciens hospices des enfans trouvés formèrent ainsi deux sections : la première, appelée la Bourbe et réservée aux filles-mères, aux femmes indigentes arrivées au dernier terme de leur grossesse, la seconde consacrée aux enfans assistés.

Non-seulement les enfans abandonnés à Paris étaient portés à l’hospice de la rue d’Enfer, mais on y envoyait sans vergogne ceux des départemens, et il existait des courtiers en abandon d’enfans. Ces hommes recueillaient dans les villages et dans les villes les