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vermoulue achève de s’écrouler ; nous sommes témoins du fracas, écrasés ou simplement meurtris selon que les débris nous atteignent, ou, en se superposant au gré du hasard, nous protègent… Il ne nous reste qu’une silencieuse résignation. »

Tout le monde ne fut pas aussi résigné qu’Hélène Jacobi et le cénacle qui se réunissait autour d’elle et de son frère à Pempelfort ou à Munich. Berlin en particulier, après s’être livré à une morne tristesse, secoua sa torpeur pour songer à l’avenir. On y comprit à la fin qu’il y avait quelque chose de plus nécessaire que « le développement des belles individualités[1], » et que ce quelque chose était l’indépendance nationale ; qu’il y avait une idée plus vraie que l’idée de l’humanité, et que cette idée était celle de la patrie. Dans les petits pays, on pensait encore pouvoir continuer à rêver et à méditer aussi bien à l’ombre des baïonnettes étrangères que sous la protection des gouvernemens nationaux. En Prusse, il devait en être autrement. L’état y avait été malade, bien malade ; mais la notion même de l’état n’avait pu s’y perdre totalement, comme sous les petits gouvernemens ecclésiastiques ou laïques de l’ouest, du centre et du midi de l’Allemagne. On y était d’ailleurs profondément attaché à la personne du roi, à une dynastie qui s’était identifiée avec le pays, et qui l’avait pour ainsi dire créé. Aussi la colère du peuple se tourna-t-elle contre les conseillers seuls de la couronne : celle-ci était pour tout le monde au-dessus de la discussion, comme s’il se fût agi d’un souverain constitutionnel et de ministres responsables. Les vertus privées du roi fugitif, ses malheurs, sa simplicité, augmentaient encore l’affection qu’on avait pour sa personne ; la reine, si digne dans l’infortune et si courageuse, continuait d’être l’idole populaire.

Cependant le souverain, dont la faiblesse et l’obstination avaient été pour beaucoup dans les causes du désastre, s’aperçut enfin, qu’il avait fait fausse route. « Tout est perdu, s’écria-t-il, de qui viendra le salut ? Désabusé, je n’attends plus rien de ceux qu’on appelait les appuis du trône : ce n’est que par l’honnête peuple, le brave bourgeois, le simple paysan, que la situation pourra s’améliorer un

  1. Voyez la Revue du 15 mars et du 1er mai 1870.