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quinze ans, la restauration quinze ans, la monarchie de juillet dix-huit ans, le second empire, présidence comprise, vingt-deux ans. C’est une moyenne d’environ dix-sept ans. Or ce qui est incontestable, c’est que les premières années de ces quatre régimes différens ont été ou glorieuses ou prospères, et que, s’il avait été donné à quelque bon génie de les arrêter au milieu de leur course, si Napoléon Ier avait quitté le pouvoir en 1807, Charles X en 1828, Louis-Philippe en 1838, Napoléon III en 1860, l’histoire aurait été forcée de porter sur eux un jugement bien autrement favorable que celui qu’elle a dû porter plus tard. Napoléon après la brillante période du consulat, après Austerlitz et Iéna, rentrant dans la vie privée, y aurait porté un nom d’une incomparable grandeur. Il aurait échappé aux fautes de la guerre d’Espagne et de la guerre de Russie. Aucune renommée dans l’histoire n’aurait pu être opposée à la sienne. Charles X en 1828 semblait céder aux vœux de la France libérale ; en se retirant, il aurait remis le pouvoir entre les mains des Royer-Collard et des Casimir Perler, et l’avènement de la bourgeoisie s’opérait sans révolution et sans secousse. Louis-Philippe en 1838 avait dompté les agitations intérieures, il avait décrété l’amnistie, un ministre d’un caractère conciliant semblait faire des avances à l’avenir. Un changement de règne eût évité l’irritation des dernières années et le coup de tonnerre de février. Napoléon III lui-même, si la Providence lui avait fait la grâce de le faire mourir en 1860, après Sébastopol et le traité de Paris, après la campagne libératrice de la Lombardie, après l’inauguration de la liberté commerciale et avant l’expédition du Mexique, eût probablement passé pour un grand politique, et son règne aurait compté au nombre des plus brillans. Donc tous nos souverains depuis 89 ont régné trop longtemps.

On répondra peut-être, et non sans raison, qu’on ne peut pas les tuer juste à point pour leur gloire et pour notre bonheur. Sans doute, mais si l’observation historique, vérifiée sur un certain nombre d’exemples, démontrait : 1° que la monarchie héréditaire est une fiction, et n’a existé depuis quatre-vingts ans que sur le papier ; 2° que la royauté n’est pas même viagère ; 3° que, quoique non viagère, elle dure encore trop longtemps, plus longtemps que les facultés du titulaire, on en arriverait peut-être à comprendre que la stabilité n’est pas l’immobilité, que celle d’un état ressemble à celle d’un navire, qui n’est stable qu’à la condition de céder au mouvement ascendant ou descendant de la vague, de renouveler à propos le capitaine et l’équipage, et de perpétuer dans le commandement non la même personne, mais les mêmes qualités. À ces conditions seulement, la manœuvre sera toujours habile et énergiquement