Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inquiétés ; elle avait, par la confiscation du Hanovre, massé sur notre frontière une puissance formidable. Loin de nous donner aucune garantie ni matérielle ni morale, nous l’avions vue se réserver une entrée dans les forteresses des états du sud, menace perpétuelle contre nous, imposer à ces états des budgets et des règlemens militaires devant lesquels nous ne pouvions rester aveugles, et s’avancer, pour tout dire, à grands pas vers la domination de l’Allemagne au sud comme au nord du Mein. Cependant, de l’aveu même des cabinets, nous avions été de quelque chose dans les récentes modifications militaires ou diplomatiques. C’était par l’entremise de notre gouvernement que la Vénétie avait été finalement cédée par une puissance allemande à l’Italie ; nous étions intervenus lors des négociations de 1866 en faveur de la Saxe ; nous avions fait insérer dans le traité de Prague une stipulation importante en faveur du Slesvig septentrional. M. de Bismarck a dit à M. Jules Favre que nous avions eu tort de nous souvenir de Sadowa, « qui ne nous regardait en rien. » Le mot est hardi, le chancelier le répéterait-il aux échos de Biarritz ? Que venait-il faire en 1865 sur ces plages ? L’opinion en France avait-elle tort après cela de tenir pour certain qu’à côté du soin de notre sûreté personnelle nous avions non-seulement le droit, mais aussi le devoir de surveiller les tentatives de la Prusse contre l’indépendance des états méridionaux de l’Allemagne ? On eût regardé comme injuste de contrarier ou de combattre les tendances unitaires de l’autre côté du Rhin, si l’unité s’était accomplie par l’Allemagne et de son plein gré ; mais il eût semblé, pour dire vrai, peu généreux de laisser opprimer le Wurtemberg et la Bavière ; déjà l’oppression du Slesvig nous inspirait quelque honte. M. Mommsen, à cet égard, est intraitable comme un grand nombre d’Allemands, nous le savons. « Ce Slesvig, dit-il, ma patrie, que quelques sots et un plus grand nombre de fourbes appellent une province danoise, che alcuni sciocchi e piu furbi chiamano provincia danese ! » Il n’y a qu’une réponse à faire, c’est de rappeler l’Autriche dupée, la parole de la Prusse engagée devant l’Europe au traité de Prague, puis ouvertement démentie, et les traitemens infligés à MM. Ahlmann et Kryger : fourberie et violence ! L’Europe est du reste édifiée à ce sujet, et certains organes allemands en ont assez dit eux-mêmes.

S’il y a quelque vérité dans ce qui précède, il est évident que la nation française ne souhaitait pas et n’a jamais souhaité d’avoir à combattre la nation allemande : bien loin de là, elle n’était qu’attentive aux griefs, qui nous arrivaient si nombreux, de l’Allemagne contre la Prusse. Envers la Prusse elle-même, elle eût souhaité qu’on fût ici assez habile et assez fort pour la tenir en respect sans