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entonnent chaque soir des chœurs avec un ensemble merveilleux. Les orphéons de la province sont venus jusqu’à nous avec ses valeureux enfans. Voici maintenant les mobiles de la Marne, à l’air non moins martial que leurs camarades du midi ou de l’ouest. Çà et là des feux de bivouac, des tentes alignées, des tables dressées en plein air, où mange tout ce monde, à côté de cantines improvisées. Des cantines, il y en a partout ; elles avaient inondé, tout autour de l’enceinte, le chemin de ronde, si bien que des commandans sévères, stricts observateurs de la discipline, ont dû les reporter à quelques cents mètres plus loin.

A l’état-major du secteur, la vie est plus paisible, moins accidentée ; mais là encore tout le monde s’entend, et malgré la diversité des rangs, des âges, des professions, aucune division n’a lieu. Chacun vit en bonne intelligence avec son voisin, chacun n’a qu’une idée : chasser au plus vite l’ennemi. Ici, comme sur bien d’autres secteurs, la marine est en majorité. La marine a tout donné à la défense de Paris : ses braves combattans, amiraux, officiers, matelots, son admirable système de signaux, son incomparable artillerie. Dès le premier jour, elle est accourue et n’a pas marchandé ses services. Six des forts, six des secteurs sont commandés par ses officiers[1]. Tous les sémaphores, à Montmartre, au Mont-Valérien, à Passy, à Issy, à l’Opéra, lui sont confiés. Ses canonniers, par la justesse de leur tir, sont déjà devenus légendaires, et après le siège le peuple parlera d’eux comme en d’autres temps, après Sébastopol, après Solferino, il parlait du zouave. Au Point-du-Jour, hier l’un des endroits les plus faibles, les plus accessibles de la défense, aujourd’hui l’un des mieux fortifiés, on a dressé plusieurs gros canons de la marine. « Quand vous entendrez aboyer ces dogues, vous pourrez être sûr qu’il fera chaud ! » nous disait l’officier commandant cette batterie.

Terminons ce chapitre par un trait qui fera rougir un peu nos fuyards. Bien que le voisinage des remparts ne soit pas en ce moment tout à fait agréable pour de paisibles rentiers, il ne faudrait pas croire cependant que tous ont déserté. dans une magnifique villa de Passy demeure une dame âgée, seule avec un nombreux domestique. La maison est riche, d’un grand style, pleine d’objets d’art du plus haut prix. Au bout du jardin passe la rue du Rempart. Sur le toit, on a, pendant plusieurs jours, installé le sémaphore du secteur, et comme à un certain moment on craignait

  1. Ces secteurs sont ceux qui portent les n° 4 à 9 ; les forts, ceux de Romainville, Roisy, Rosny, Iyry, Bicêtre et Montrouge. L’amiral La Roncière a concentré dans ses mains ce dernier service et délégué chacun des forts à des capitaines de vaisseau.