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aveuglement n’a-t-il pas même fourni à une nation voisine le prétexte qu’elle attendait ? Nous payons notre confiance par l’incendie de nos villes et la dévastation de nos campagnes. C’est là le résultat des plébiscites menteurs que nous avons accueillis ou laissé voter. Chacun de nos malheurs est l’expiation de tel vote ou de telle concession. Les Prussiens nous renvoient en obus et en boulets les oui que nous avons accordés aux Bonaparte. « L’empire, c’est la paix, » disait-il ; mais ne devions-nous pas savoir que la logique des situations est invincible, et la volonté des hommes fragile ? Que ce soit avec empressement ou avec froideur, nous avons accepté l’homme des échauffourées et des déroutes ; il fallait nous attendre à ce que Strasbourg et Boulogne auraient pour conclusion Reichshofen et Sedan. Quelle était l’excuse de notre imprévoyance ? Le socialisme, les nouveaux jacobins ? Oui, nous savons que nos infortunes ont plus d’une cause, et que sans les démagogues il n’y avait pas de Napoléon III ; mais nous avions vaincu les factieux, nous devions nous résoudre à les vaincre encore, à les vaincre toujours. Au lieu de regarder en face le péril, au lieu de compter l’ennemi et de nous compter nous-mêmes, nous avons écouté les conseils de la peur, nous avons pris pour garantie un nom, un souvenir : nous nous sommes réfugiés derrière un sabre dont nous connaissons maintenant la valeur. On nous proposait de mettre notre défense en commandite, de nous assurer moyennant finance et en donnant carte blanche à l’entrepreneur du salut public. Nous avons consenti ; on avait d’ailleurs pris l’avance, et le contrat avait le caractère des billets obtenus par surprise. Nous nous sommes exécutés.

Allons jusqu’au bout. Il y avait périodiquement pour le prétendu sauveur nécessité de renouveler son bail. Nous n’avons pas montré dans ces occasions plus de coup d’œil ni de fermeté que dans le principe, et puis, pour perpétuer la même situation, les mêmes moyens étaient employés. A la fin, la réalité commençait à détromper les gouvernés, l’inquiétude à gagner le gouvernement : on parla de monarchie constitutionnelle, de responsabilité des ministres. La prévoyance nous fit encore défaut pour lier les mains à celui qui nous avait trompés, la résolution pour nous mettre nous-mêmes au gouvernail. C’était le dernier répit que nous laissait la fortune. Nous n’avons pas su le mettre à profit : irritée, elle nous a laissés rouler dans le précipice où nous faisons aujourd’hui, pour nous arrêter au-dessus du gouffre béant, des efforts prodigieux dont la centième partie aurait suffi à sauver la France des dangers du passé.

L’aveu est-il assez complet ? Que mangue-t-il au triomphe du poète ? Il a eu prévoyance et résolution là où nous en avons