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l’ancien Latium, sa dissertation sur les Tables alimentaires, ses études sur les embouchures du Rhône et du Danube, sa série d’inscriptions inédites recueillies par lui-même, il y a deux ans, en Valachie et Bulgarie, sont de vrais services rendus à la science. M. Desjardins entreprend aujourd’hui de couronner cette suite de travaux par une nouvelle édition de la Table de Peutinger, avec commentaire et fac-similé. Il est facile de comprendre l’utilité d’un tel dessein. Ce qui se rapporte à la cartographie antique est encore assez ignoré, bien qu’il soit hors de doute que les Grecs et les Romains aient connu et pratiqué ces utiles instrumens. Hérodote raconte que, lors de la révolte de l’Ionie, prélude des guerres médiques, le tyran de Milet, Aristagoras, menacé tout le premier de la vengeance des Perses, vint demander du secours à Cléomène, roi de Sparte. Sparte, alors encore la plus puissante ville du monde hellénique, ne devait-elle pas porter secours aux Grecs d’Asie ? Les barbares lui seraient faciles à vaincre, et leur défaite l’enrichirait ; elle frapperait d’impôts leurs villes opulentes, ses soldats pénétreraient vainqueurs jusque dans la somptueuse capitale du grand roi. Malgré les répugnances naturelles du génie Spartiate contre les expéditions lointaines et étrangères, malgré la petite Gorgo, sa fille, qui le pressait de fermer l’oreille à des propos corrupteurs, Cléomène allait, semblait-il, se laisser tenter : Aristagoras lui faisait suivre des yeux et du doigt sa future marche victorieuse ; il lui en montrait les diverses étapes, nous dit le narrateur antique, sur une planche de cuivre où était gravée la circonférence de la terre, avec les fleuves et les mers, sans doute aussi avec les routes et leurs stations jusqu’à Suse. Voilà une preuve incontestable, que dès le Ve siècle avant l’ère chrétienne, les anciens Grecs connaissaient l’usage des cartes. Strabon, d’après Ératosthènes, nous rappelle qu’on en savait dresser chez les Grecs d’Asie un siècle même avant la date à laquelle Hérodote a fait allusion. Comment supposer en effet que de si nécessaires instrumens eussent pu rester inconnus à la politique ingénieuse des Grecs, qu’un Xénophon avec les Dix mille ou un Alexandre avec sa courageuse armée se fussent aventurés à travers toute l’Asie occidentale jusqu’à l’Euphrate, jusqu’au Pendjab, sans de tels auxiliaires ? Encore moins devons-nous trouver pareille lacune chez les Romains, peuple arpenteur et pratique, jaloux d’étendre partout son droit de propriété et de conquête. Ils n’avaient toutefois pas sans doute une carte d’Italie centrale, ces primitifs Romains qui mirent des siècles à s’emparer du pays entourant leur berceau, et qu’effrayait, à deux pas du Tibre, la forêt ciminienne ; mais les Scipions, un César, tous ceux qu’on nous représente avec raison comme les types classiques de l’homme de guerre, comment ces habiles capitaines auraient-ils manqué de cartes routières à travers la Grèce, les Gaules ou l’Asie ? On sait quelle merveille c’étaient que les grandes routes du peuple-roi : cette voie Appienne qui