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plus enflammé de patriotisme allemand que ces deux derniers, descendans tous les deux de familles françaises émigrées lors de la révocation de l’édit de Nantes. Ce phénomène n’est pas isolé : en France aussi et en Angleterre, on a souvent pu observer que les petits-fils d’étrangers se montrent volontiers les défenseurs les plus ardens d’une nationalité a laquelle ils se rattachent par le sol plus que par le sang.


II

On a vu que le pays était resté fort indifférent à la guerre de 1792 à 1795. C’était une entreprise purement politique, — il faudrait dire impolitique. Un caprice du maître y avait engagé la Prusse officielle ; l’âme du peuple ne s’y était point intéressée, Pendant les onze ans qui séparèrent la paix de Bâle de la bataille d’Iéna, l’entente entre la France et la Prusse n’avait point été sérieusement troublée. La guerre de 1806 elle-même fut encore aux yeux de la majorité des Allemands une guerre politique ; ils ne datent les guerres de délivrance que de janvier 1813, A voir l’esprit des choses plus que les faits matériels, il semble qu’il faille en placer le commencement en 1809. La guerre d’Autriche, qui se termina par Wagram, a un caractère bien différent de toutes celles qui l’avaient précédée. Ce fut la première lutte populaire. Qu’on lise les proclamations de Gentz et de Frédéric Schlegel, alors secrétaire de la cour impériale ; elles annoncent déjà le manifeste de Kalisch, et le ton en diffère singulièrement de celui des déclarations de 1792 et de 1806. L’archiduc Charles, dans son ordre du jour du 6 avril, rappelait aux soldats que « la liberté de l’Europe s’était réfugiée sous leurs drapeaux. Vos victoires feront tomber ses chaînes, et vos frères allemands qui servent encore dans les rangs ennemis attendent leur délivrance. » En s’adressait « à la nation allemande, » le général autrichien s’écriait : « Nous combattons pour rendre à l’Allemagne l’indépendance et l’honneur national, » Bans l’empire des Ferdinand et des François, on appelait même le peuple aux armes. « Le moment présent ne reviendra pas en des siècles d’ici. Saisissez-le, afin qu’il ne vous échappe ; imitez le grand exemple de l’Espagne ! »

C’étaient là des accens inconnus ; la nation cependant les entendit, et le peuple se souleva. On sait la lutte tragique du Tyrol, les folles, mais héroïques équipées de Schill et de Dœrnberg, de Katt et de Brunswick, « Le grand exemple de l’Espagne » avait été étrangement contagieux ; il faut lire les mémoires, les journaux, les lettres du temps, pour se faire une idée de l’universalité et de la profondeur des sympathies qu’inspirait la lutte à outrance de la péninsule. L’humiliation infligée aux dynasties nationales à Erfurt et le