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affronter vos regards ;… mais vous comprenez, capitaine, que je n’ai pas fini de régler mon compte avec moi-même, et vous comprenez aussi pourquoi je tiens tant à me battre. J’ai une dette à payer, une dette de sang, et puis il faut que je sache enfin si vraiment je suis un lâche.

— Pas de déclamations ! dis-je en posant ma main sur son épaule, car il s’exaltait en parlant. Vous avez perdu la tête et commis un acte criminel ; c’est regrettable sans doute, mais vous vous êtes presque aussitôt efforcé de le réparer, vous avez triomphé de l’instinct pervers, dompté la bête effarée qui se cabrait, et vous l’avez ramenée à son devoir. Cela est bien et prouve que le fonds est bon, que, désormais sur vos gardes, vous saurez vous faire obéir de vous-même ; seulement du calme, mon enfant, beaucoup de calme ! Avec cela, on voit clair et on marche droit. Maintenant vous voyez cette ligne pâle à l’horizon ; c’est l’aube. Si vous tenez à être de la petite fête qui se prépare, il est temps, partez, et bonne chance !

Je lui tendis la main qu’il serra avec effusion. — Adieu, capitaine, dit-il d’une voix grave.

Je le rappelai. — Un mot encore, Germer : soyez prudent, vous entendez ? Je vous ordonne d’être prudent. Il ne s’agit pas de se faire tuer, songez-y bien, car les morts ne peuvent plus sauver la France, et ce ne sont pas eux qui reprendront Châtillon.

Il sourit tristement, me fit un signe de la main et partit. Je le suivis du regard ; il m’intéressait, et je lui savais gré de son honnête sincérité ; j’avais assez d’expérience pour démêler dans son aventure tous les symptômes d’une âme énergique et droite. Il avait assurément déployé plus de résolution et de courage pour reconquérir son fusil qu’il ne lui en aurait fallu pour le garder ; seulement il était jeune, et il s’était laissé surprendre par une excitation fébrile des nerfs : pour l’avenir, j’étais sûr de lui.

Je n’assistai pas ce jour-là au combat qui eut lieu entre l’Hay, Thiaiset Chevilly ; je vis seulement défiler les blessés, ce qui est une cruelle vision. Le soir, j’appris que Germer s’était distingué ; son sang-froid et son intrépidité avaient été remarqués, on vint m’en faire compliment. Le général X…, bon juge en de telles matières, me proposa de l’attacher d’une façon définitive à son état-major en récompense de sa belle attitude. Je transmis cette offre à Germer, qui refusa. — Restons ensemble, si vous voulez bien, capitaine, — me dit-il. Je ne demandais pas mieux, et nous gardâmes notre jeune camarade.

Jusqu’au 13 octobre, il ne se passa rien d’important. Ce jour-là, nous reçûmes l’avis qu’on allait attaquer l’ennemi entre Bagneux et Châtillon. Un éclair de joie illumina le visage de Germer. — Enfin ! s’écria-t-il avec un regard qui exprimait son espoir.