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Les troupes françaises étaient divisées en trois corps, sans compter la réserve. Une de nos divisions reçut l’ordre de se diriger sur Vanves et Clamart, tandis qu’une autre attaquait de front Bagneux. Nous, nous devions opérer entre les deux autres et aborder de face la position de Châtillon. Ma compagnie fut placée en tête des colonnes d’attaque. Nous étions soutenus par plusieurs bataillons de la ligne et de gardes mobiles, et cette fois par une forte artillerie. L’attaque fut donnée vigoureusement ; il nous fallut faire le siège de chaque maison, transformée en forteresse, enlever à la baïonnette chaque barricade et déloger l’ennemi, embusqué derrière les murs crénelés des parcs et des jardins. L’entrain des troupes était merveilleux, tous les obstacles cédaient devant elles, et l’ennemi éperdu reculait en désordre. Cependant, ayant reçu des renforts comme toujours, il parvint à se rallier, et comme toujours il reprit l’offensive. Nos soldats, enflammés par l’espoir d’une revanche, par le désir de vaincre, ne reculaient pas d’une semelle. Abrités à leur tour dans les maisons et derrière les barricades, ils résistaient avec énergie ; les Prussiens, bien plus nombreux, s’efforçaient de nous tourner. Ils faillirent bien un instant envelopper une troupe de mobiles ; ceux-ci s’étaient retranchés dans une cour de ferme dont ils avaient barricadé la porte avec des meubles, des charrettes brisées, des matelas, tout ce qui leur était tombé sous la main. Derrière ce rempart improvisé, ils tenaient en échec un détachement prussien.

J’étais à peu de distance dans un cimetière où mes francs-tireurs et moi nous étions fortifiés comme en un camp retranché, hélas ! parmi les tombes et sur la cendre des morts, dont nous venions profaner le repos ; de là, je dominais la ferme, et je m’aperçus qu’elle allait être cernée. Comment avertir les mobiles ? Je fis un signe, Germer s’élança, il avait vu et compris. Les Allemands heureusement ne tirent pas toujours bien, et, malgré la pluie de balles dont ils saluèrent son passage, il parvint à gagner la ferme et à s’y introduire. Il y eut a ce moment dans le petit blockhaus un peu d’hésitation dont les Prussiens profitèrent pour marcher en avant. La fusillade reprit aussitôt, vive, acharnée. Un certain nombre de mobiles s’efforçaient de faire une brèche dans le mur, le temps pressait ; les autres, appuyés à la frêle barricade à demi démantelée déjà, protégeaient leur travail, et parmi eux Germer, chargeant et déchargeant son fusil avec le calme d’un vieux soldat. C’est ainsi que je l’aperçus, debout, au milieu des nuages de poussière et de fumée ; puis une effroyable décharge retentit, et je ne vis plus rien.

Des troupes prussiennes s’avançaient en masses compactes, leurs renforts se succédaient ; on sonna la retraite. Pour garder les positions que nous avions conquises, il aurait fallu de notre côté faire