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Du 1er au 7 septembre.

Du 1er au 7 septembre, nos journées sont toujours les mêmes : nous sommes au milieu de l’armée prussienne. Les régimens passent les uns après les autres. L’ambulance occupe la plus grande partie de notre temps. Quand nous sommes arrivés au Chesne, on y comptait soixante malades réunis dans une grande maison ; les sœurs de Sainte-Chrétienne avaient installé dans leurs classes les plus gravement atteints, ceux dont l’état réclamait des soins de chaque instant. « Ne vous occupez pas de nous, vous avez à faire ailleurs, nous nous suffirons, » nous disaient-elles, et cela était vrai. L’approche de l’armée ennemie ne les avait pas effrayées ; elles nous avaient seulement priés de venir loger chez elles dans le cas où quelques garanties leur seraient nécessaires. Elles n’ont couru aucun danger, et nous n’avons été pour elles qu’un surcroît de préoccupation et de fatigues. Ce qui nous frappait surtout dans leur hôpital improvisé, c’était l’entrain de cette charité sans éclat, cette pitié sobre de vaines paroles. Durant cette semaine, elles ont eu bien des mourans à consoler ; les soins que demandaient les malades étaient infinis. Cependant personne dans le couvent ne paraissait s’apercevoir de la fatigue ; la maison n’avait aucun air de tristesse.

La grande ambulance était occupée par des malades répartis dans cinq chambres, l’une pour les petites véroles, qu’il fallait isoler, les autres pour les maux de pieds, les dyssenteries et les fièvres. Le 1er septembre, il nous arriva de véritables blessés ; toutefois nous n’en avons pas eu plus d’une vingtaine. Quelques matelas, des couvertures et de la paille suffirent d’abord pour nos dortoirs improvisés. Chaque matin, le docteur du Chesne, M. Dolizy, faisait la visite ; on procédait ensuite aux pansemens, dont deux infirmières et quelques hommes s’étaient chargés. Une voisine préparait le bouillon et les repas. Les vivres devinrent bientôt la préoccupation la plus grande de l’ambulance, la plupart des soldats avaient bon appétit ; il fallait cependant se mettre à la ration : au bout d’une semaine, tout compte fait, il ne restait au Chesne que pour huit jours de farine. Les habitans désiraient soigner des malades chez eux ; ces braves gens s’adressaient à nous sans arrière-pensée. Si quelques natures vulgaires songeaient surtout au bénéfice du drapeau à croix rouge, le plus souvent le désir d’être utile inspirait seul ces solliciteurs. « J’ai un fils à l’armée, nous disait un père de famille, donnez-moi deux blessés, je les traiterai comme je voudrais qu’on le traitât, » et ces deux soldats qu’il emmenait étaient adoptés par lui comme ses enfans. De très pauvres gens s’imposaient de véritables sacrifices pour prodiguer à un malade tout ce qu’il demandait.