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ne craignent point la concurrence. En effet, tandis qu’à Lowell et à Lawrence dans le Massachusetts la tonne de houille se paie 8 dollars (31 fr. 20 cent.), qu’à Providence dans le Rhode-Island le prix s’en élève jusqu’à 10 dollars (39 francs), on a sous la main à Augusta et à Granitevillet, dans la Géorgie et la Caroline du sud, des forêts de plus qui, après avoir fourni leur résine, sont encore un combustible de choix. Voilà en somme des élémens précieux : d’où vient que les gens du sud n’en ont pas mieux profité ? C’est probablement qu’ils se regardent toujours comme des opprimés, et qu’ils résistent à s’engager dans une voie que les gens du nord ont ouverte. Leur vraie industrie à eux était la culture du coton ; ils y ont excellé, et ils ne sont pas encore d’humeur à prendre le second rang après avoir si longtemps figuré au premier.

Ce n’est pas d’ailleurs sans avoir pesé assez lourdement sur la fortune de la communauté que les états manufacturiers ont édifié et maintenu leur propre fortune. Le procédé employé pour cela est des plus simples : battre monnaie avec les tarifs des douanes ; c’est ainsi que dans la dernière reprise d’activité la fabrique a marché plus vite que la culture. User du tarif pour relever leurs prix est du reste une coutume familière à tous les entrepreneurs d’industrie quand ils peuvent mettre les bonnes cartes dans leur jeu. Les prétextes spécieux ne manquent jamais, et aux Américains moins qu’à personne. De 1813 à 1816, ce fut la haine contre l’Angleterre ; depuis 1865, c’est une revanche contre l’Europe. Il est bon de remarquer que, pour obtenir un effet matériel, c’est toujours d’un prétexte moral que l’on se couvre. Le taux varie d’ailleurs selon les temps, les circonstances et le mouvement de l’opinion. En 1816, le coup du début est des plus fermes, 25 pour 100 de droits. Depuis lors, dans le demi-siècle qui s’est écoulé, il y a eu presque autant de tarifs que de présidences : les plus obscures, les plus insignifiantes, comme celles de Van-Buren et de Polk, ont payé ce tribut et donné ce gage ; les plus fertiles en événemens, comme celles de Jackson et de Lincoln, n’y ont pas échappé. Qui plus, qui moins, chacun mettait la main à ce mécanisme fiscal dans un sens ou dans l’autre, suivant le parti qui avait le dessus. Comme cependant les forces politiques se balançaient, les écarts n’étaient pas très grands ; les vainqueurs se contenaient, n’étant jamais sûrs du lendemain. On a traversé ainsi près d’un demi-siècle sous l’empire de droits de douane tolérables, entre un minimum de 8 pour 100 et un maximum de 15 pour 100, qui n’apportaient point aux échanges une entrave trop sensible. L’industrie locale s’en accommodait aussi, et cheminait à petit bruit. Ce n’était pour personne une complète satisfaction ni un gain de cause marqué ; mais c’était néanmoins un