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d’eau-de-vie destinée à l’armée. Les fournisseurs, soupçonnés de fraude ou d’empoisonnement, sont aussitôt arrêtés. Berthollet examine l’eau-de-vie et la trouve pure de tout mélange. « Tu oses soutenir, lui dit Robespierre, que cette eau-de-vie ne contient pas de poison ? » Pour toute réponse, Berthollet en avale un verre en disant : « Je n’en ai jamais tant bu. — Tu as bien du courage, s’écrie Robespierre. — J’en ai eu davantage en signant mon rapport. » L’affaire en resta là. Tous les académiciens ne furent pas aussi heureux que Berthollet. On connaît la fin cruelle et tragique de Lavoisier et de Condorcet ; d’autres furent obligés de s’éloigner. Bref la compagnie tout entière fut dispersée jusqu’au 23 mai 1796, où elle fut rétablie sous un autre nom.

La situation de la France diffère aujourd’hui beaucoup de ce qu’elle était dans les premières années de la révolution, mais elle n’est pas moins grave. Paris et la province sont séparées par une barrière d’ennemis ; la capitale, investie et isolée, doit tirer d’elle-même tous les matériaux nécessaires à la fabrication des engins de guerre et toutes les ressources indispensables à l’organisation des moyens de défense. Heureusement la grande « cité du luxe et des plaisirs » est en même temps un centre industriel si florissant et si actif, qu’on est assuré d’y trouver de quoi subvenir à tous les besoins urgens. Le gouvernement, les académies, les divers comités scientifiques, les corps d’ingénieurs, concourent dans un même effort patriotique pour encourager, éclairer, hâter et régulariser l’œuvre de la défense. Déjà les résultats obtenus sont d’un consolant augure, quoi qu’en disent les téméraires impatiens et les pessimistes incorrigibles. S’il est juste de reconnaître qu’il y a eu au début de la lenteur et de l’hésitation, un manque réel de décision et d’espoir, il ne l’est pas moins de se féliciter aujourd’hui de l’impulsion donnée à tous les travaux.

L’Académie des Sciences n’a pas oublié les devoirs que lui imposent les grands souvenirs de la république. Ses séances, qu’elle continue à tenir, comme d’habitude, tous les lundis, sont consacrées à l’étude des questions que soulève le côté scientifique de la défense et de l’hygiène de Paris. Son secrétaire perpétuel, M. Dumas, se distingue par l’active sagacité avec laquelle il élucide tout ce qui est relatif à l’alimentation et à la santé des citoyens. L’administration fera son profit des conseils excellens qu’il a donnés pour la préparation des viandes salées et pour la conservation des diverses denrées, ainsi que sur les moyens d’utiliser beaucoup de déchets restés jusqu’ici sans emploi dans l’alimentation, et de remédier à la rareté du beurre et du lait. M. Dumas nous a fait savoir également que, les meules de la manutention militaire et celles de l’assistance publique ne suffisant pas pour moudre le blé renfermé dans Paris,