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jusqu’à la dernière minute, qui peut la réconcilier avec nous, et il s’agit surtout de ne point donner à l’ennemi qui nous regarde le droit de compter tour à tour sur nos impatiences, sur nos agitations et nos lassitudes. Tout ce qu’impose un patriotisme sans phrases, sans subtilités et sans illusions, il faut le faire sans arrière-pensée, en hommes préparés d’avance à la continuation de la lutte, si elle est nécessaire, aussi bien qu’à la paix, si elle est possible. Paris a eu jusqu’ici le privilège d’être un exemple pour la France, et il a réussi à inspirer sinon l’admiration qu’on lui a offerte, du moins le respect, justement parce qu’il a fait son devoir, parce que, même à travers les agitations inséparables d’une épreuve si dure et si prolongée, il a su résister à tous les entraînemens. Paris est toujours frondeur, cela n’est point douteux, il le sera plus ou moins dans toutes les situations ; il n’est pas moins vrai qu’il a su dominer les émotions les plus vives, rester maître de lui-même, se défendre de toutes les surprises, parce qu’il a compris que tout ce qui l’écartait de cette ligne simple et droite du patriotisme ne pouvait que le livrer au vainqueur, — et, qu’on ne s’y trompe pas, c’est la grande raison de l’éclatante défaite de cette échauffourée du 31 octobre qui, à la faveur des patriotiques tristesses du moment, a essayé, moitié par la force, moitié par la ruse, de planter sur l’Hôtel de Ville le drapeau d’une commune révolutionnaire.

Que Paris ne sentît pas précisément le besoin d’une commune dictatoriale et qu’il ne se fie guère à ceux qui voulaient s’imposer à lui comme dictateurs, c’est bien évident ; la population parisienne avait déjà manifesté ses dispositions, il y a six semaines, à la première apparition de cette commune révolutionnaire et de ceux qui l’ont inventée ; mais ce qui a du premier coup et plus que tout le reste ruiné cette coupable tentative, ce qui la condamnait d’avance, ce qui a rallié contre elle le peuple armé tout entier accouru à l’Hôtel de Ville au secours du gouvernement, c’est qu’elle était un affaiblissement devant l’ennemi, une sorte de désarmement de la résistance nationale, frappée au cœur à Paris même et sans doute atteinte plus irrémédiablement encore dans les provinces françaises. Pour cette malheureuse unité de la France qui passe par une si terrible crise, le coup pouvait être pour longtemps irréparable, il pouvait dans tous les cas conduire par le plus court chemin à une véritable dislocation de la défense nationale en creusant un abîme entre Paris et la province, en ajoutant à la séparation matérielle le divorce moral, qui eût éclaté aussitôt ; il n’a pas fait tout le mal qu’il pouvait faire, c’est vrai, le coup a échoué, et on en a été quitte pour quelques heures de confusion. Telle qu’elle a été, cette journée du 31 octobre, elle ne comptera pas moins dans ce siège extraordinaire que nous subissons, et en définitive elle a eu peut-être son effet plus qu’on ne le croit, non-seulement par l’épreuve à laquelle elle a soumis le gouvernement et