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résoudre l’immense et douloureux problème qui nous opprime tous. Il faut pour échapper aux ténèbres où nous sommes, pour conjurer le cataclysme qui nous menace évidemment, il faut un moyen simple, un moyen tout pratique, c’est-à-dire clair et prompt. J’entends pousser un cri d’alarme, un cri prématuré, mais à coup sûr intelligent : notre unité française est en péril, dit-on, notre unité, ce foyer de lumière, de vie sociale, de civilisation ! Entre Paris et la France, et même aussi de ville à ville, de province à province, on nous signale un travail dissolvant, un travail de divorce, de désagrégation, et, pour parer à ce danger suprême, à ce fédéralisme énervant, on ne voit qu’un moyen, — le seul, le meilleur sans doute en un temps ordinaire, si les Prussiens n’étaient pas là, nous serrant à la gorge ; — ce moyen, c’est une assemblée convoquée sur-le-champ, on ne sait où ni comment, par élection directe ou par délégation, vaille que vaille en un mot ; pourvu qu’une assemblée fonctionne, existe quelque part, on pense avoir tout sauvé. Dieu sait que, si j’en doute, ce n’est pas scepticisme anti-parlementaire : les assemblées pour moi sont désormais la vie, le ressort, le contrôle nécessaires, et aussi légitimes que nécessaires de tout gouvernement ; mais le cas aujourd’hui est inouï, sans pareil : il ne s’agit pas de dénouer, il faut trancher le nœud, et ce genre de besogne, il n’est pas d’assemblée qui soit apte à la faire. Encore une fois, il n’y a de possible que le oui ou le non. De deux choses l’une : ou la France dira oui, et le traité terminera la guerre, traité pour nous d’autant plus acceptable que l’ennemi, pour y souscrire, aura plus rabattu de ses premières prétentions. Ce n’en sera pas moins un acte de raison, pénible encore à beaucoup d’entre nous ; mais par amour de la concorde, par respect du verdict national, on s’y résignera, sauf à préparer en silence, à force de patriotisme, un meilleur avenir ; ou bien la France dira non, et alors ce sera la guerre, la guerre rallumée, ardente et à outrance. Cette guerre, les Prussiens seuls devront la redouter, car la France elle-même, engagée cette fois, y donnera vraiment son dernier homme et son dernier écu.

En attendant et quoi qu’on fasse, je demande à Paris de reprendre au plus vite cette mâle attitude qui pendant six semaines lui a fait tant d’honneur. Qu’il se pénètre des paroles d’un accent si noble et si vrai que lui adresse aujourd’hui son gouverneur, son général. Confiance et discipline, voilà les armes qui, en donnant à l’ennemi de sérieux soucis, prêteront main forte aux négociateurs, si, comme je le suppose, il s’en trouve encore à Versailles. Laissons là ces idées d’atermoiemens, de suspension du siège, d’armistice et d’accommodement ; pensons à la défense et ne pensons qu’à elle. Ne rêvez plus théâtres réouverts, promenades, voyages, libres correspondances : ne laissez pas votre imagination savourer ces fruits défendus ; parcourez le rempart, et du dehors surtout regardez cette ville à l’aspect si nouveau, si désolé, si nu, si grandiose et si fier. Regardez cet immense espace qui vous sépare des bastions,