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puis en levant la tête ces longues lignes horizontales qui vous transportent en idée au fond des grandes landes ou devant les dunes de la mer. Il y a des gens à qui ce spectacle, ces audacieux travaux et ces canons montrant leur gueule aux échancrures des tertres de gazon causent une sorte de serrement de cœur, qui en détournent les yeux, ne pensant qu’aux douleurs et aux larmes dont ils ont devant eux le triste avertissement ; sans me croire iusensible, je confesse que chez moi le premier mouvement devant ce Paris transfiguré est une sorte de salis-faction intérieure que tout cela soit comme sorti de terre, si promptement, si noblement, sous les yeux et avec le concours de cette population frivole et généreuse. Tout n’est donc pas perdu, puisque de tels élans partent encore de nous ! Aussi quand il m’arrive de penser que peut-être nos maux auront un terme, qu’on pourrait encore s’occuper quelque jour des embellissemens de Paris, le premier que je rêve est de lui maintenir sa couronne guerrière, ses ponts-levis, ses cavaliers et ses glacis immenses qui l’isolent et lui forment un si beau piédestal. Cette parure lui sied, je veux qu’il la conserve.

Mais savez-vous, mon cher monsieur, ce qui trouble ma confiance même en contemplant ces remparts à qui nous devons tant ? C’est beau coup, j’en conviens, d’avoir fait cet effort d’arrêter l’ennemi et de lui opposer de si fortes murailles ; mais pour vaincre est-ce assez ? Si nous ne comptons que sur nous-mêmes, sur nos bras et sur nos canons, ne sentons-nous pas que c’est bien peu de chose ? Et pour nous assurer un secours autrement puissant, que faisons-nous, qu’osons-nous faire ? Dieu, je le crois, ne veut pas que la France périsse : il l’a tant protégée et sauvée tant de fois, d’une façon si visible, jusqu’à nous délivrer d’envahisseurs non moins tenaces, non moins puissans que ces Prussiens, par le bras d’une jeune fille ; mais nous attendre, nous, à pareille assistance, c’est, vous en conviendrez, le croire bien généreux, car s’il voulait, que dans notre détresse des prières publiques montassent jusqu’à lui et qu’il mît à ce prix sa clémence, notre république française serait hors d’état de les lui offrir. Sa sœur de l’Atlantique faisait plus largement les choses lorsqu’elle aussi subissait la torture d’une guerre qui la dévorait. Si vous jetez les yeux sur cette immense lutte, vous y voyez le jeûne et la prière à la veille de tous les grands combats. Espérons qu’à défaut de ces démonstrations publiques la ferveur isolée suffit à fléchir Dieu. Celle-là du moins ne manque pas en France, même au milieu de tant d’aveuglemens, d’impiétés et d’indifférence : il faut compter sur elle et garder bon espoir.


L. VITET.


La lettre si fortifiante de notre honorable collaborateur a bien préjugé du patriotisme de la province. Nous apprenons à l’instant par voie officielle que l’armée de la Loire a repris Orléans le 9 novembre, en infligeant aux Prussiens une première défaite. « La fortune nous revient, » dit M. Jules Favre en publiant cette bonne nouvelle.


C. BULOZ.