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besoin de cinq corps d’armée pour se défendre, qui avec la garde nationale, la garde mobile, les francs-tireurs, l’artillerie et quelques régimens de troupes de ligne, se seraient admirablement défendus tout seuls, reprochent peut-être au commandant en chef de l’armée du Rhin d’avoir songé à lui-même et à ses soldats beaucoup plus qu’au salut de la ville. Ils ont le droit de lui dire que, dans sa persistance à se tenir sous leurs murs, leurs forts et leurs remparts n’auraient pas été pris, — que, si tant de bouches à nourrir n’avaient pas épuisé les provisions accumulées dans Metz, il resterait encore aujourd’hui assez de vivres pour de longs mois de siège. Que sont devenus les énormes approvisionnemens que jusqu’à la dernière heure l’intendance militaire dirigea sur la ville de trois côtés à la fois, par la ligne de Frouard, tant que celle-ci ne fut pas coupée, par l’embranchement de Verdun, par la ligne des Ardennes, restée libre quelques jours de plus ? Le biscuit et les salaisons qui arrivaient de Dunkerque et des places du nord, le pain biscuité qu’on fabriquait pour les troupes à Épinal, à Lunéville, à Nancy, à Pont-à-Mousson, à Bar-le-Duc, au camp de Châlons, les 4,400 wagons de vivres accumulés le 15 août sur une longueur de 5 kilomètres, tout le long de la voie ferrée entre Metz et Ars-sur-Moselle, toutes les ressources qui auraient nourri si longtemps la garnison et la ville, l’armée du maréchal Bazaine les a complètement épuisées en deux mois et dix jours. De cette immense accumulation de vivres, il n’y avait plus rien le 27 octobre, quoiqu’un journal anglais, mal interprété, ait fait croire un instant le contraire. Ne faisons pas l’injure au commandant de l’armée du Rhin de supposer qu’il se soit rendu avant d’y avoir été réduit par la famine. Les Prussiens ont trouvé à Metz et particulièrement dans les forts des munitions de guerre (stores) ; ils n’y ont pas trouvé de provisions de bouche, comme on le disait en dénaturant le sens de l’expression anglaise. Une lettre française, en date du 6 octobre, qui peint la situation sous les couleurs les plus favorables, paraît faite à plaisir où écrite avec cet optimisme prudent dont il est sage de se servir dans une ville assiégée, que nous employons nous-mêmes lorsque nous écrivons de Paris à nos correspondans de province, et que nous craignons de voir tomber notre lettre entre les mains de l’ennemi. On y parle par exemple des gros poissons de la Moselle qui tiennent une grande place dans la consommation, comme si tous ceux qui ont habité Metz ne savaient que, même en temps ordinaire, lorsqu’on peut pêcher à quelque distance de la ville, le gros poisson est fort rare. C’est là une de ces ressources fantastiques qu’on invente pour rassurer ses amis, et pour ne pas causer trop de joie à ses ennemis, mais qu’il serait