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dont ils célébraient les bienfaits et qu’ils dépeignaient comme le fruit excellent de la philosophie. Isocrate avait employé peu d’années auparavant son éloquence à exalter les avantages de la paix, appliquant à la conduite des états les grands principes d’équité que Socrate lui avait enseignés. C’était, écrivait-il, par la justice qu’Athènes devait assurer son empire, non par des conquêtes injustes et par cette domination tyrannique sur les mers à laquelle elle ferait bien de renoncer. Ces Athéniens, partisans systématiques de la paix, disaient donc qu’on ne devait pas contrarier Philippe dans la conduite de ses affaires, qu’il fallait se montrer juste à son égard, tout ennemi qu’il pût être ; mais, répondait Démosthène, j’engage ceux qui veulent que nous soyons justes envers les peuples étrangers à conseiller à ceux-ci d’être justes envers nous. L’orateur athénien repoussait en effet alors énergiquement la politique d’abstention et de non-intervention à laquelle il imputait les progrès inquiétans qu’avait faits le roi de Macédoine. Athènes, suivant lui, devait rester fidèle à sa tradition, se faire partout le champion de la démocratie, combattre les tyrans, traverser les projets des ambitieux et vouloir que tous les hommes fussent libres.

Les sentimens exclusifs de l’antique patriotisme s’étaient donc notablement attiédis. On en était arrivé à briguer les magistratures plus pour les bénéfices matériels qu’elles procuraient que pour servir la chose publique. Aussi, comme le note déjà Xénophon, c’était à qui obtiendrait les charges salariées, et celles où il n’y avait rien à gagner étaient délaissées. Tandis que des nuées de fonctionnaires se partageaient ce que nous appellerions aujourd’hui le budget, c’était à qui ne contribuerait pas à fournir aux dépenses extraordinaires ; s’agissait-il d’une guerre, les citoyens aisés se refusaient à tout sacrifice. Le petit peuple en était presque venu à demander qu’on lui garantit sa subsistance de tous les jours et à exiger sa part des sinécures. Frappé de ces abus, Démosthène s’écriait : « Je veux que dès à présent on établisse une règle commune pour tous les citoyens, et que tout homme qui recevra sa part des deniers de la république concoure avec ardeur et partout où il faudra au service public. » En attendant, une masse de gens médiocres, comme nous l’apprend le même orateur, se contentaient de faibles distributions qui ne suffisaient pas à subvenir à tous leurs besoins, mais qui leur permettaient de vivre dans l’oisiveté. La malheureuse idée de donner une indemnité de quelques oboles aux citoyens pour assister aux assemblées et remplir les fonctions de juge ou plutôt de juré avait encore augmenté ces tendances. Le peuple trouvait plus à sa convenance d’aller déclamer dans les réunions publiques et les clubs que d’exercer paisiblement une honnête