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ébranlée commence par promettre la liberté aux prisonniers ; puis, comme il ne suffit pas à Zarca d’être délivré par sa fille qu’il vient de retrouver, elle fait davantage. Sommée par lui de remplir son devoir jusqu’au bout, elle suit son père, abandonnant son époux, les chrétiens, sa religion et le bonheur qu’elle avait entrevu. Le duc de Bedmar, rentrant du camp pour jouir de sa victoire et du repos, trouve son château abandonné, les prisonniers enfuis, son foyer désert. Plus de Fedalma, plus d’amour ! Le prieur triomphe : le chevalier, dont le cœur se révoltait en secret contre l’église, est puni par la femme à laquelle il sacrifiait tout. Il ne lui restait qu’un être pour le consoler de l’abandon, peut-être du mépris de tous, et cet être l’a trahi !

Quelle résolution prendra-t-il ? Saura-t-il recevoir la leçon de la destinée et renoncer à la fille du désert ? Non : son désir inassouvi est un aiguillon de plus. Une nuit, tandis que Fedalma, s’écartant des tentes de ses Zingari, cherche dans le souvenir de son bonheur disparu et de sa résolution présente un peu de force contre une peine sans remède, des pas se font entendre parmi les- oliviers qui projettent leur ombre le long des pentes de la montagne. Un homme s’est arrêté en l’apercevant ; il s’avance avec précaution : c’est don Silva, qui a tout laissé, sa ville, ses soldats, le camp des chrétiens, pour revoir sa maîtresse, pour la reprendre, s’il est possible, aux mécréans. Leurs premiers momens sont à l’amour, au bonheur de se revoir : mais Zarca veille sur son trésor, et surprend l’entretien des deux amans.

Ce bohémien de George Eliot ne le cède pas en fierté au noble duc de Bedmar. L’or espagnol ne le tente pas ; il entend que sa fille soit traitée autrement qu’une aventurière, et qu’elle ne s’estime pas heureuse parce qu’un seigneur aura daigné l’élever jusqu’à lui. Il est beaucoup plus qu’un chef de bande ; c’est un prince qui a fait alliance avec les musulmans. Il prétend réunir ses malheureuses tribus et traverser la mer pour aller fonder en Afrique un royaume indépendant : aussi son langage est-il au niveau de ses ambitions. Quand même don Silva serait roi d’Aragon ou de Castille, l’honneur qu’il croit faire à la fille de Zarca serait une honte. Il la porterait en triomphe comme un beau coursier enlevé à l’Afrique, un cheval de prix que l’on couvre de pourpre et de harnais dorés, pour être la propriété, la part de butin du maître qui le caresse. Cela s’appelle une conversion, parce que la Zingara deviendrait chrétienne. Cette conversion pour les vrais bohémiens est une infamie. Leur foi n’est autre chose que la fidélité à la tribu ; chrétiens et musulmans apprennent dès l’âge tendre à croire qu’ils sont les enfans chéris du ciel : les bohémiens croient qu’étant les plus