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lorsque, plaçant la monarchie de 1830 entre le danger de revenir en arrière et la nécessité de marcher en avant, il ajoutait avec une exagération menaçante, comme s’il eût déjà sonné le tocsin de la catastrophe : « Si la royauté trompe les espérances que la prudence du pays a placées en 1830 moins dans sa nature que dans son nom ; si elle s’entoure d’une aristocratie électorale au lieu de se faire peuple tout entier ; si, sans attenter ouvertement à la volonté de la nation, elle corrompt cette volonté et achète, sous le nom d’influences, une dictature d’autant plus dangereuse qu’elle aura été achetée sous le manteau de la constitution ; si elle fait rougir la France de ses vices officiels, et si elle nous laisse descendre, comme nous le voyons en ce moment, jusqu’aux tragédies de la corruption, elle tomberait, cette royauté, soyez-en sûrs, elle tomberait, non dans son sang comme celle de 89, mais elle tomberait dans son piège, et après avoir eu les révolutions de la liberté et les contre-révolutions de la gloire, vous auriez la révolution de la conscience publique et la révolution du mépris !… » C’est au mois de juillet 1847, dans l’enivrement du succès des Girondins, que Lamartine parlait ainsi, laissant entrevoir je ne sais quelle vieille amertume de royaliste vaincu jusque dans ses professions de foi démocratiques, jusque dans l’ardente et implacable prophétie des révolutions nouvelles.

Qui était dans le vrai, qui se trompait de M. Guizot ou de Lamartine ? Ce qu’il y avait de vrai, c’est que réellement un étrange problème s’agitait dans l’âme de la France, c’est que, sous cette apparence de prospérité tranquille et de régularité constitutionnelle qui frappait M. Guizot, le pays se sentait atteint d’un mal vague, d’autant plus dangereux qu’il était peut-être en partie dans l’imagination, et c’est précisément parce que c’était un mal d’imagination qu’un poète semblait prédestiné à être l’orateur, le politique de cette agitation indistincte. Plus que tout autre, Lamartine semblait fait pour représenter cette France inquiète, désaffectionnée, révolutionnaire sans le vouloir et sans le savoir, prête à se rallier à tous ces programmes d’une démocratie enveloppée de la plus merveilleuse éloquence. C’est là le secret de cette popularité grandissante, popularité d’imagination et de séduction, de même que cette impatience agitée qui allait en se propageant dans le pays, que les hommes d’état dédaignaient trop, était le secret de la révolution de février, de cette surprise devant laquelle on se trouvait subitement désarmé parce qu’on ne s’y était pas préparé. Jusqu’aux approches de la catastrophe sans doute, jusqu’en 1847, rien n’était compromis, et même cette campagne des banquets qui s’ouvrait sous un drapeau de réforme électorale, à laquelle Lamartine restait étranger, cette campagne plus bruyante que sérieuse, plus tumultueuse que