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travailleurs et bien d’autres jeunes venaient se grouper auprès des vétérans un peu caducs de 1848 pour discuter la « question sociale, » et c’est ainsi que le personnel oratoire des réunions publiques allait grossissant chaque jour lorsque ces réunions furent suspendues au commencement de l’année.

Après le coup d’état populaire du 4 septembre, les entraves opposées aux réunions publiques se trouvèrent levées ; on put fonder librement des clubs aussi bien que des journaux, et discuter les questions politiques et religieuses avec la même liberté illimitée que la question sociale. On n’avait plus à craindre le commissaire de police, c’était bien plutôt le commissaire de police qui avait à craindre le club. Les salles ne manquaient pas : salles de danse, salles de spectacle ou de cafés-concerts, salles d’école même, tout était vacant ; on n’avait que le choix des locaux, et les propriétaires se montraient coulans sur les prix. La plupart se contentaient de faire payer l’éclairage et les autres frais, ce qui n’a pas empêché, bien entendu, ces locaux gratuits de retentir des récriminations les plus amères contre l’avidité des propriétaires. D’un autre côté, le personnel oratoire des réunions publiques venait encore de se grossir des diverses catégories de réfugiés que les événemens avaient ramenés de Londres, de Genève ou de Bruxelles. On avait donc tout ce qu’il fallait pour organiser les clubs et pour les multiplier autant que l’exigeraient les besoins du public. Enfin, à la veille du siège, l’ordonnance du préfet de police, M. de Kératry, prescrivant la fermeture des théâtres accordait une véritable prime d’encouragement à la formation des clubs. Nous ne voulons dire aucun mal de cette mesure, que l’opinion publique paraissait réclamer au nom des convenances, sinon des nécessités de l’état de siège. Seulement on pourrait se demander s’il convenait de fermer les théâtres plutôt que les cafés et les autres lieux de réunion, et si le meilleur moyen d’accoutumer une population à supporter les épreuves d’un siège et à se résigner aux langueurs d’un blocus, ce ne serait point par hasard d’intervenir aussi peu que possible dans ses habitudes. La santé de l’esprit ne dépend-elle pas en grande partie, comme celle du corps, des alimens dont on le nourrit ? Certes la qualité de l’alimentation intellectuelle, puisque l’expression est à la mode, que les théâtres fournissaient à la population parisienne avait singulièrement baissé depuis quelques années ; mais à ces mets fades et grossiers n’y avait-il pas quelque péril à substituer d’emblée la pâture non moins grossière et infiniment plus échauffante des clubs ? On aurait pu, à la vérité, fermer les clubs en même temps que les théâtres, et le conseil en a été donné au gouvernement de la défense nationale. Quelques-uns allaient