Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ce qu’il y avait de dramatique et de réalisable à côté de tout ce qu’il y avait de douloureux et de menaçant. Il en était en quelque sorte la poésie, la lumière, et par un de ces déplacemens qui ont leur explication dans les circonstances autant que dans la nature de l’homme, après avoir été la force d’impulsion du mouvement, il en devenait la force de résistance. La veille, il était la république, la révolution dans les dernières palpitations de la monarchie expirante ; le lendemain, il était l’ordre, la paix sociale, la sécurité, la tradition dans les premiers déchaînemens de la république, homme d’imagination le lendemain comme la veille sans doute, mais cette fois ayant une société tout entière pour complice et pour cliente. « O crédulité du génie épris de lui-même ! s’est écrié M. Louis Blanc dans des pages où il a raconté à son tour et à son point de vue la révolution de février, les péripéties du gouvernement provisoire. La vérité est que dans la pompe triomphale de la république, le poète qui avait brûlé tant d’encens sur les autels de la royauté fut au nombre des vaincus. Ce fut seulement pour mieux montrer en spectacle ce captif fameux que la république le fit asseoir derrière elle sur son char de triomphe. »

On voit ici cet éternel procès du républicain de la veille et du républicain du lendemain, pour parler le langage du temps, — cette malheureuse et invariable pensée de rétrécir la république aux proportions d’un parti, d’une école ou d’une secte, au lieu de l’élargir dans une mesure telle qu’elle soit l’image de la société tout entière dans sa diversité, qu’elle puisse avoir pour auxiliaires, pour coopérateurs tous les esprits sincères, ralliés d’avance à une démocratie fondée sur la liberté et sur l’équité. M. Louis Blanc se trompe lorsqu’il parle après coup de char de triomphe, de vaincus et de ce « captif fameux » traîné en spectacle. Il se méprend sur le sens des événemens où il a lui-même joué un rôle ; il ne voit pas que, si la république a été possible, sérieuse en 1848, c’est surtout par Lamartine qu’elle a eu ses meilleures chances, que sans lui elle ne serait pas née probablement le 24 février, elle eût été sans doute ajournée encore, ou elle était exposée à glisser plus tôt dans l’anarchie sanglante où elle devait se perdre. Lamartine, dans la pensée de certains hommes, pouvait n’être qu’une décoration pour la république, je le veux bien ; il en était aussi la force, l’inspiration, la nouveauté séduisante, dirai-je. Il lui donnait la physionomie d’une puissance de conciliation ; il était le signe ostensible, vivant et parlant, qui la distinguait des dictatures violentes d’autrefois, et c’est justement parce qu’il était un de ces vaincus dont parle M. Louis Blanc, ou en d’autres termes parce qu’il n’avait rien d’exclusif, parce qu’il tenait de toutes ses fibres morales à cette grande masse libérale et cultivée de la société française, qu’il devenait la force sérieuse, en même temps qu’il était par son nom l’éclat fascinateur, de la république nouvelle.