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pour nous, c’est, ne l’oublions pas, d’abord notre propre effort, puis encore mieux notre bon droit lui-même. Le Times a raison, jamais ce ne sera la paix, si notre France est mutilée. Ne sentez-vous pas jusqu’au fond de vous-même l’effrayante vérité de cette prophétie ? Je croyais aimer mon pays quand il était prospère et respecté, mais de quel amour tout autre je me sens pris pour lui depuis qu’on le menace de cette flétrissure ! Il est des malheurs qui s’effacent, on oublie l’affront d’un tribut, on oublie même des pierres renversées ; mais le sol qui nous est volé, comment l’oublier jamais ? Cette France dont la figure vous est si bien connue pour l’avoir toujours vue depuis votre naissance et l’avoir reçue de nos pères, quand vous en apprendrez l’histoire à vos enfans et que du doigt sur la carte vous suivrez la fatale échancrure, ne leur soufflerez-vous pas malgré vous un esprit de vengeance et de haine qui ne pourra s’éteindre de dix générations ?

Qu’on respecte au contraire notre sol, et, si j’en juge par moi-même, les souffrances d’orgueil s’apaiseront et s’éteindront. Notre honneur satisfait, au lieu de nourrir nos rancunes, nous pourrons, tête haute, professer l’horreur de la guerre, et si l’Europe veut des gages de notre bonne foi, cette zone neutralisée dont je parlais l’autre jour pourrait, sans nous blesser, inaugurer pour nos voisins et pour nous-mêmes une ère nouvelle de paix et de sécurité. Puisse l’effort héroïque qui en ce moment même se tente sous nos murs venir en aide à notre droit ! Puisse Dieu nous rendre la victoire, surtout pour n’en pas abuser et pour prendre sur nos vainqueurs une digne et vraie revanche, celle de ne pas les imiter ! J’entends des gens nous dire : Regardons bien comme ils s’y prennent, et tâchons d’en faire autant qu’eux. Non, jamais ; ce n’est pas forfanterie, jamais la victoire à ce prix ! Corrigeons nos défauts, mais gardons les faveurs que nous tenons du ciel, et qui sont notre raison d’être. Restons nous-mêmes, car, en vérité, croyez-moi, plus je vois ces barbares mécaniques, plus je demande à Dieu que jamais nous ne leur ressemblions.


L. VITET.


C. BULOZ,