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confédération du nord et du sud, en vain séparés par les traités et se réunissant au-dessus des rives diplomatiques du Mein dans la crainte du même péril et dans la même espérance de vaincre.

Et l’on vient nous parler de l’inqualifiable agression de la France ! Il y a encore des naïfs pour prétendre que la Prusse était de bonne foi dans l’étonnement qu’elle a si bien joué au mois de juillet dernier ! On s’attendrit à la peinture du roi Guillaume se jetant dans les bras du prince royal et versant des larmes d’émotion douloureuse ! C’étaient bien des larmes en effet, mais de joie. Le roi de Prusse se voyait empereur d’Allemagne, le tour était joué.

Plaçons en regard de ces royales comédies les idylles chantées dans les universités et les temples allemands à l’occasion de cette guerre. Parmi plusieurs morceaux empreints d’une mansuétude infinie, on a remarqué le discours de M. Du Bois-Reymond, recteur de l’université de Berlin, savant distingué d’ailleurs, le même qui s’excusait un jour, avec un goût exquis, de l’affront involontaire qu’il faisait à ses auditeurs berlinois en portant devant eux un nom français. « Comment avons-nous mérité l’infortune de cette guerre, disait-il d’une voix qui voulait être émue le 3 août dernier, nous, — le peuple le plus modéré, le plus équitable, le plus patient, le plus pacifique, le plus laborieux que la terre ait jamais porté ? Depuis le roi sur son trône jusqu’au dernier manœuvre, nous pouvons tous lever les bras au ciel et nous écrier : Soyons desséchés si nous avons la moindre part à ces crimes… Nous ne demandions qu’à demeurer en paix… Jamais nous n’avons eu l’audace de convoiter un pouce de sol étranger ; que dis-je ? lorsque nous songions à cette Alsace que les Mémoires de Goethe ont comme rapprochée de nos cœurs, ce n’était jamais qu’en nous résignant à la voir à jamais perdue par notre faiblesse passée ! » À ce tableau d’innocentes félicités, on se sent pleurer de tendresse. Et maintenant qu’une politique implacable prétend nous ravir nos chères provinces, ces lambeaux saignans de l’âme de la patrie, la voix de ce bon peuple, « le plus modéré, le plus équitable, le plus pacifique que la terre ait porté, » va sans doute se faire entendre. Erreur : le bon peuple ne veut plus rendre, maintenant qu’il a pris. Il a reçu pour cela des ordres d’en haut. La voix divine lui a parlé par l’organe de M. de Bismarck. C’est un pieux pasteur qui le déclare dans la Nouvelle gazette évangélique de Berlin. « Depuis qu’une plume qui ne se trompe pas a écrit que la paix ne se ferait pas avant que la possession de l’Alsace et de la Lorraine nous fût garantie, tous les cœurs allemands se réjouissent, car ils ont le sentiment que le sang n’a pas coulé en vain… Que Dieu nous aide en ceci, car la paix comme la victoire vient de lui ! »

Voilà enfin démasqué, dans les aspirations du peuple comme