Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différens. Pour qu’un travail de cette nature eût une valeur sérieuse au point de vue qui nous occupe, il serait absolument nécessaire de diviser la population en catégories déterminées par l’ancienneté de l’immigration ; cette ancienneté elle-même s’accuserait par le nombre des générations. En procédant ainsi, on constaterait à coup sûr dans la mortalité des groupes des différences tranchées plus ou moins analogues à celles qu’ont montrées les générations de végétaux et d’animaux transportés en Afrique ou en Amérique. Les statistiques dont il s’agit sont encore viciées par un défaut que met parfaitement en lumière un travail récent de M. Walther, médecin distingué de notre marine militaire. En faisant l’histoire détaillée du choléra qui frappa la Guadeloupe en 1865 et 1866, M. Walther a touché incidemment aux questions d’acclimatation. Lui aussi a dressé des tableaux de mortalité ; seulement, au lieu de prendre la population en bloc, il l’a étudiée commune par commune. Alors ont apparu des différences bien significatives. Considérée en masse, la population de la Guadeloupe présente un excédant annuel des décès sur les naissances représenté par 0,46, c’est-à-dire de presque un 1/2 pour 100. En présence de ce chiffre, le statisticien ordinaire n’aurait pas manqué de conclure que l’Européen n’est pas acclimaté à la Guadeloupe, puisqu’il y meurt plus d’individus qu’il n’en naît, et que par conséquent au bout d’un temps facile à calculer cette population coloniale s’éteindrait, si l’immigration ne venait sans cesse en combler les vides. Cependant, lorsqu’on examine le tableau de mortalité par commune, on arrive à des conclusions bien autres. Ces communes sont au nombre de trente et une. Or dans quinze d’entre elles le nombre des naissances l’emporte sur celui des décès. Dans la petite île de Marie-Galante, deux communes sur trois sont dans ce dernier cas. Ainsi les chiffres effrayans des moyennes sont dus uniquement à l’exagération de la mortalité dans certaines communes[1]. Le résultat général obtenu par M. Walther peut être traduit ainsi : la race française est acclimatée à la Guadeloupe dans quinze localités ; elle ne l’est pas dans les seize restantes. De ces deux propositions, la première doit être considérée comme définitivement acquise ; la seconde a besoin de confirmation, car il reste à examiner de plus près la population des communes les plus frappées, à les étudier par catégories. Quoi qu’il en soit, tout esprit juste reconnaîtra qu’on ne saurait parler désormais de l’acclimatation à la Guadeloupe. Il ne doit être question que de l’acclimatation à la Basse-Terre, à la Pointe-à-Pitre, à la Pointe-Noire, etc.

Les Antilles françaises, comme la plupart de leurs sœurs, sont le

  1. Les tableaux de mortalité recueillis en Algérie par M. Boudin présentent des faits analogues. Sur cent soixante-neuf localités, cinquante-cinq accusaient dès 1857 un excédant des naissances sur les décès.