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la Martinique[1]. Les uns et les autres n’en doivent pas moins être enregistrés comme point de départ d’une étude qui commence. Ils n’ont d’ailleurs rien de désespérant. Il est clair par exemple que les Madériens seront assez rapidement acclimatés à la Guadeloupe, comme ils le sont déjà à Cuba, et si les races nègres, chinoises, hindoues, ont à éprouver des pertes beaucoup plus graves, l’habitat de nos colonies ne leur est point à jamais interdit.

Nous avons insisté sur l’acclimatation aux Antilles, parce que le milieu de ces îles est à juste titre regardé comme un des plus redoutables pour les étrangers. On vient de voir pourtant que l’Européen, le Français, peuvent y trouver une patrie. Il est des lieux plus meurtriers encore, qui repoussent toutes les races humaines, celles-là même que les siècles semblent avoir façonnées pour y vivre. Le nègre est certainement l’homme des régions intertropicales africaines, et cependant il ne parait pouvoir habiter impunément le vaste estuaire du Gabon. Les peuplades qu’on y a trouvées sont en voie d’abâtardissement manifeste. M. Braouezec a signalé chez elles un fait curieux, et qui atteste une altération singulière des fonctions de reproduction. Le nombre des femmes l’emporte sur celui des hommes d’une manière notable. La constitution générale des habitans est d’ailleurs sensiblement affaiblie. Aussi ces tribus ne sauraient-elles résister à la pression croissante exercée par les Pahouins, ces cannibales intelligens et énergiques qui, du cœur de l’Afrique, s’avancent vers les côtes sur un front de bandière de 100 lieues selon quelques voyageurs. Il sera intéressant devoir si eux aussi subiront dans un temps donné l’influence délétère du Gabon.

On sait trop que presque toutes les régions intertropicales, surtout celles qui sont exposées à des inondations ou qui recèlent de vastes marais, sont plus ou moins meurtrières pour l’Européen. On dirait que la nature cherche à lui interdire ces merveilleuses contrées, en même temps qu’elle y déploie toutes ses magnificences comme un défi permanent jeté à son esprit d’entreprise et de persévérance. Toutefois il y a des degrés dans cette insalubrité. Dans la plupart des cas, elle diminue à mesure qu’on s’éloigne de l’équateur. De plus il existe sous ce rapport de grandes différences entre les deux hémisphères. A latitudes égales, l’hémisphère austral est en général bien plus accessible aux races blanches que l’hémisphère boréal. C’est là un fait qui ressortirait aisément de l’observation seule. Du 30e au 35e degré de latitude nord, on trouve l’Algérie, surtout une partie des États-Unis du sud, où l’acclimatation de l’Européen présente des difficultés sérieuses. A la même latitude, dans

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1863.