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l’hémisphère austral, on a la partie méridionale du Cap et la Nouvelle-Galles (Australie), régions où toutes les races européennes prospèrent d’emblée. Rien ne serait plus facile que de multiplier ces comparaisons ; M. Boudin a du reste mis le fait hors de doute par des chiures puisés aux sources officielles. Les armées soumises à un régime relativement uniforme, quel que soit leur habitat, présentent comme élément d’appréciation de l’action exercée par des milieux différens des garanties tout à fait spéciales. Or la mortalité annuelle moyenne de l’armée est en France de 19,5 sur 1,000, en Angleterre de 15,1 sur 1,000. Transportées dans les colonies de l’hémisphère sud, l’armée française ne perd que 9,93, l’armée anglaise 9,6 par an. Dans les colonies de l’hémisphère nord, la mortalité s’élève à 46,0 pour l’armée française, à 151,1 pour l’armée anglaise[1]. De ces chiffres, il résulte qu’en somme la mortalité moyenne des armées est environ onze fois plus forte dans notre hémisphère que dans l’hémisphère opposé.

Après avoir mis en lumière le contraste frappant qui ressort de ces chiffres, M. Boudin a cherché à en rendre compte. Il en a trouvé la cause prochaine dans le plus ou moins de fréquence et de gravité des fièvres paludéennes. Au nord de l’équateur, ces fièvres s’étendent jusqu’à la région que borne la ligne isotherme de 9 degrés centigrades, correspondant pour l’Europe occidentale au 59e degré de latitude. Au sud de l’équateur, elles ne dépassent qu’assez rarement le tropique (23°,28’), et s’arrêtent souvent en-deçà. Taïti, qui n’est qu’à 18 degrés de l’équateur géographique et placée à peu près sous l’équateur thermal, est exempte de fièvres paludéennes. Dans l’Amérique méridionale, au Cap, en Mélanésie, en Australie, plus encore que chez nous, de vastes espaces se couvrent d’eaux croupissantes et se dessèchent aux rayons d’un soleil brûlant. Au nord de l’équateur, en France même, un pareil état de choses engendrerait les fièvres les plus graves. La Charente-Inférieure et les environs du port de Rochefort étaient naguère presque aussi redoutables que les marigots du Sénégal. Dans ces contrées, il n’en résulte en général rien de fâcheux pour la santé des riverains, tout au plus quelques fièvres dont on guérit d’ordinaire spontanément. Ici encore les chiffres recueillis par M. Boudin ont une singulière éloquence. Dans l’hémisphère austral, les armées anglaises et françaises réunies comptent par année en moyenne 1,6 fiévreux sur 1,000 seulement, dans l’hémisphère boréal 224,9 sur 1,000.

Ainsi les fièvres paludéennes sont presque deux cents, fois plus fréquentes au nord qu’au sud de l’équateur. Ajoutons qu’elles sont

  1. Cette moyenne effrayante tient en grande partie à l’insalubrité exceptionnelle de quelques-unes des stations. A Sierra-Leone, la garnison anglaise perd en moyenne et par an 483 hommes sur 1,000 et 668,3 à Cap-Coast.