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Parménide, étudiait de son côté, avec d’autres préoccupations que les rhéteurs, les procédés et les démarches de l’esprit humain. La méthode dont on lui attribue l’invention reçut le nom d’art du dialogue, ou, pour prendre la forme abrégée qui a passé dans notre langue, de dialectique. Avec Platon et dans son école, ce terme désignera une certaine marche logique par laquelle l’esprit, partant des phénomènes multiples de la nature, s’élève, comme de degré en degré, jusqu’au nécessaire, à l’éternel, à l’absolu ; mais à l’origine ce mot de dialectique a une signification moins déterminée. Pour faire comprendre quelle idée y attachaient les premiers qui l’ont mis en usage, il faut revenir sur l’histoire de la philosophie grecque avant les éléates.

« S’étonner, dit Platon, c’est le commencement de la philosophie. » Les Ioniens, cette brillante avant-garde de la Grèce, ces fils aînés de son génie auxquels elle avait dû l’épopée, furent aussi les premiers à éprouver en face de l’univers ce sentiment de surprise et d’admiration, cette curiosité qu’irritent, au lieu de la décourager, les limites mêmes de nos facultés et de notre courte vie. Sans doute, comme Jouffroy l’a montré dans des pages célèbres, il n’est point d’âme, quelque simple qu’elle soit, où ne se pose à certaines heures le problème de la destinée humaine, de l’origine et de la fin des choses ; mais chez presque tous les hommes ce n’est là qu’un désir d’un instant, qu’une vague et passagère aspiration. Partout, dès que notre espèce s’est élevée au-dessus de la bestialité, il s’est rencontré des esprits que ces hautes questions passionnaient ; seulement pendant de longs âges, chez les peuples même les mieux doués, les réponses des sages ne se produisirent que sous la forme religieuse, sous le voile du symbole et du mythe. L’imagination était la faculté dominante ; toutes les forces dont notre intelligence commençait à distinguer le rôle et à étudier le jeu, toutes les lois qu’elle devinait, l’imagination les personnifiait en des êtres semblables à l’homme, mais plus grands et plus beaux, moins faibles et moins éphémères. Tout était merveille et miracle, intervention de volantes puissantes et capricieuses ; toute conception, tout enseignement prenait le caractère d’une révélation. C’est aux Grecs d’Asie que revient l’honneur d’avoir, vers la fin du VIIe siècle, tenté d’affranchir la pensée en la dégageant de l’imagination et du sentiment. Ils ont commencé une révolution qui aujourd’hui même, ; après plus de vingt-cinq siècles, n’est pas encore achevée. Ce sont les sages de l’Ionie qui ont eu la première idée de ce que nous appelons d’un mot qu’il est inutile d’expliquer, la science.

Ce fut aux mathématiques, à l’astronomie, à la physique générale, que s’appliqua tout d’abord l’intelligence, quand elle tenta de