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devant lequel l’orateur s’était placé pour parler à la foule. On ne sait rien non plus de l’Eloge des Eléens, que mentionne Aristote. Le seul de ces ouvrages dont quelques phrases nous aient été conservées, c’est l’Oraison funèbre. Il ne faut point y voir un discours qui ait été réellement prononcé, comme l’oraison funèbre de Périclès ou celle d’Hypéride, en l’honneur des morts de telle ou telle campagne. Gorgias n’avait point qualité pour parler, comme ces orateurs, dans le Céramique, au nom de la cité, en face de la cendre des soldats morts pour la patrie. Il ne s’était point associé de cœur, comme le fera bientôt un autre Sicilien, Lysias, à la fortune et aux épreuves d’Athènes ; une seule chose lui importait, le bien dire : c’était un virtuose de la parole. Dans cette harangue dont Athènes eut la primeur il ne s’est donc proposé qu’une chose, prouver quel parti le talent pouvait tirer de ces cérémonies que consacrait l’usage attique. Ses louanges s’adressent à tous ceux qui, sur divers champs de bataille, sont tombés pour la défense de la cité ; il exalte surtout ceux qui ont péri dans les guerres médiques, et il montre combien les victoires remportées sur les barbares l’emportent sur celles où d’autres Grecs ont été les vaincus. C’étaient là des idées qu’il avait déjà développées dans son Olympique ; Isocrate exécutera aussi plus d’une variation sur ce thème. Quant aux deux discours qui figurent dans nos recueils sous le nom de Gorgias, on est d’accord aujourd’hui pour n’y voir que de médiocres pastiches dus à quelque rhéteur de l’époque romaine : ils ont pour titre l’un Eloge d’Hélène, l’autre Défense de Palamède.

On voit par cette énumération que tous les discours de Gorgias rentrent dans le genre que los Grecs ont appelé épideictique, mot que nos manuels, trompés par le terme employé dans les rhétoriques latines, ont mal à propos rendu par démonstratif. Le vrai sens de ce mot, c’est discours d’apparat, discours destiné non point à faire voter une loi ou gagner un procès, mais à montrer, à faire briller le talent de l’orateur. Ce qui dans nos usages s’en rapproche le plus, ce sont nos éloges, nos discours académiques ; ce que nous nommons le genre académique est, à très peu de chose près, l’épideictique des Grecs. Gorgias et Isocrate sont des académiciens nés quelques siècles trop tôt, avant que les académies fussent inventées ; à Paris, ils se seraient appelés Balzac et Voiture.

Ces discours que Gorgias avait prononcés en public, dans des occasions solennelles, il les répétait sans doute dans le cercle de ses disciples ; il leur en expliquait les beautés, et leur en faisait apprendre les plus brillans morceaux. Ces jeunes gens s’essayaient sur des sujets analogues ; il les écoutait, leur signalait leurs fautes, et leur indiquait comment ils auraient dû s’y prendre. Le premier,