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quoi de plus simple et de plus beau que cette parole du livre X de l’Esprit des lois : « les états despotiques font des invasions, il n’y a que les monarchies qui fassent la guerre. »

Montesquieu ne s’est pas occupé des lois qui régissent la guerre ; il n’a pas cherché jusqu’à quel point un fils qui rassure son père sur sa vie et sa santé peut être considéré comme coupable d’entretenir des relations avec l’ennemi ; il n’a pas prévu qu’en s’échappant à travers les airs et par un chemin invisible au-dessus des horreurs qui se commettent sur terre on méritait le titre d’espion. Tout absolus qu’étaient alors les rois, ils étaient primitifs, et Montesquieu ne pouvait deviner comment le raffinement des lois de la guerre enseignerait à sortir de ces lois. Cependant sa distinction vraiment humaine des lois civiles et du droit des gens faisait déjà comprendre que la guerre elle-même n’a pas le droit de vie et de mort sur ceux qui ne portent aucune atteinte à ses entreprises. Est-il nécessaire d’insister sur les chapitres de l’Esprit des lois où l’auteur s’efforce d’amollir la férocité des vainqueurs, ou d’alléger le poids de la conquête, pour m’autoriser à regarder Montesquieu comme le publiciste qui, dans la question proposée à notre étude, a rendu les services les plus réels à l’humanité ?

Voltaire s’efforce d’obéir au précepte des critiques suivant lesquels l’historien ne doit être d’aucune nation. Il la dit lui-même, et cela dans une lettre à un roi étranger, il est cosmopolite. Il ne lui coûte pas de mépriser la tourbe des hommes employés au métier des armes : ces hommes étaient alors des mercenaires. Il ose faire du mot de voleur un synonyme du beau nom de soldat. Ne nous hâtons pas trop de l’accuser. C’était l’homme de lettres qui parlait ainsi. Il s’exprimait en artiste, et trouvait naïvement que la guerre doit être quelque chose de bien vilain, puisque les détails en sont si ennuyeux. A son avis, tout cela était bon pour faire l’entretien d’un vieux major et d’un lieutenant-colonel retiré dans sa province. Telle était sa philosophie sur cette folie humaine. La guerre dégoûtait son imagination encore plus qu’elle ne révoltait son cœur, et il ne manquait ni de l’un ni de l’autre. Il estimait que par la fureur des batailles l’homme se rapprochait des animaux, dont chaque espèce est née pour en dévorer une autre. Il ne concevait pas que la raison, présent divin accordé à l’homme, ne l’empêchât point d’agir comme s’il avait reçu de la nature des armes meurtrières pour tuer ses semblables et un instinct cruel pour sucer leur sang. Voltaire était un satirique ; mais qu’importe, si la satire contenait une forte leçon ?

Dans son article Guerre du Dictionnaire philosophique, un prince fait prouver par un généalogiste qu’il descend en droite ligne d’un