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ou sous un autre, à travers toutes les difficultés et tous les périls, elle ne saurait plus avoir d’autre régime qu’un gouvernement de large publicité et d’incessant contrôle, de discussion et de liberté.

Cette perspective promet de beaux jours à l’éloquence. Déjà ç’a été pour nous tous, pour la France envahie et saignante, une consolation d’entendre parler, il y a quelques jours, le noble et fier langage dont M. Jules Favre a su garder la tradition. L’avenir nous réserve peut-être d’autre joies de ce genre, et des joies qui ne seront plus, comme celle-ci, mêlées d’amertume. Débarrassée à la fois du maître qui l’endormait et de l’étranger qui l’envahit, la France, réunie en de solennelles assises, aura d’abord à déterminer par le vote de ses représentans la constitution qui sied le mieux à son génie et à ses habitudes, à ses vertus et à ses défauts. Dans cette grande enquête qu’ouvrira la prochaine assemblée nationale, le rôle des orateurs sera de combattre les préjugés, de dissiper les vaines craintes et les sourdes rancunes, de maintenir l’union que la guerre a faite ; ils travailleront à mettre en pleine lumière les leçons du passé, à empêcher que les fautes et les souffrances des pères ne soient perdues pour les fils. La voix de ces orateurs aura d’autant plus d’accent et de puissance qu’elle retentira dans des âmes encore toutes vibrantes des émotions de la lutte sacrée, encore toutes chaudes du péril et du combat. Une fois le nouveau régime établi partout, depuis l’enceinte où se rassembleront les députés de toute la France jusqu’à la mairie de village où siégera le conseil municipal, ce sera la parole qui aura pour tâche d’avertir le pays de ses véritables intérêts, de l’accoutumer à voir clair dans ses affaires et à tout décider lui-même. Comme à Athènes, comme dans tous les pays qui ont eu la notion exacte de la liberté politique, l’individu sera protégé contre la tyrannie du pouvoir par une magistrature indépendante et un jury placé au-dessus de tout soupçon. Grâce à la presse, puissance inconnue à l’antiquité, il ne se perdra point une parole qui mérite d’être entendue. Ministres, membres des assemblées nationales, départementales, communales, avocats, tous ceux qui auront ou qui croiront avoir quelque chose d’utile à dire seront sûrs de n’être pas entendus seulement de l’auditoire restreint qui les écoutera ; leur voix portera plus loin. Avec un pareil régime, chez un peuple qui du temps de Caton aimait déjà le bien dire, tous ceux qui voudront exercer autour d’eux quelque influence seront forcés d’apprendre tout au moins à exposer clairement leurs idées, à n’avoir pas peur de parler en public ; ce sera pour tous, comme en Angleterre et en Amérique, une habitude à prendre, un apprentissage à faire dès le collège. Quant à l’éloquence, elle sera toujours rare ; toujours il y faudra, outre le génie,