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coïncidence résulte des dates précises que nous fournit sa correspondance. La démission de Bernis est du 6 octobre, la réponse du roi est du 9 ; or Bernis écrivait le 11 à Choiseul : « Je suis cardinal depuis deux jours, monsieur le duc, et j’en ai appris hier la nouvelle. Le roi a témoigné une véritable joie de ma promotion. Cela a été marqué et remarqué. Votre affaire et la mienne sont finies. » Malgré les soucis de la politique et les malheurs de la guerre, le ministre et l’ambassadeur n’avaient pas négligé le soin de leurs intérêts personnels. Les deux amis s’entr’aidaient : Bernis à Versailles demandait le titre de duc pour Choiseul, et Choiseul à Vienne réclamait l’appui de la cour impériale pour le chapeau de Bernis. Pendant tout l’été de 1758, Bernis, à travers ses frayeurs et ses crises nerveuses, poursuit le succès de l’une et l’autre promotion ; il stimule le zèle de Choiseul, lui promet le sien, et lui écrit : « Je serai bientôt cardinal de votre façon, et vous serez certainement duc. » Au mois d’août, quand la promesse du pape est déclarée, l’abbé-comte « met aux pieds de leurs majestés impériales son hommage et sa parfaite reconnaissance. » Choiseul, plus avancé, est déjà duc à cette époque, comme nous l’indique ce billet de félicitation que lui écrit Bernis le 26 août. « C’est avec la plus grande joie, monsieur le duc, que je vous appelle ainsi. Vous n’en doutez pas ; le fond de mon cœur vous est réellement connu. » Qu’un détachement absolu du pouvoir est chose malaisée, paraît-il, même à ceux qui l’ont pris en dégoût ! Bernis, en quittant le ministère, semblait briser sa chaîne ; nous l’avons vu implorer la pitié du roi pour obtenir de n’être plus rien, et demander pardon d’avoir consenti à devenir quelque chose : voilà que, à peine délivré et ragaillardi par le sentiment de cette délivrance, oubliant tous les scandales de sa faiblesse, il essaie de retenir ce qu’il a rejeté. Laissant à Choiseul le département qu’il venait d’abandonner, le nouveau cardinal espérait rester au conseil dans la position commode d’un ministre sans portefeuille, c’est-à-dire sans travail ni responsabilité. Il nourrissait l’illusion de garder les honneurs en se débarrassant des affaires. Sa facile imagination avait formé là-dessus comme un roman de sentimentalité politique : Choiseul et lui, unis par une amitié inaltérable, auraient échangé leurs vues, mis en commun leurs ressources, partagé leurs talens, leur crédit et leurs succès. « Nous ne serons, disaient-ils, qu’une tête dans un bonnet. » Le cardinal offrait de conduire le clergé et le parlement, de tenir la feuille des bénéfices ; il se composait un rôle selon son cœur : agréable et de belle apparence. Ses dernières lettres à Mme  de Pompadour nous le montrent en instance pour avoir les grandes entrées et un logement honnête à Versailles ; il s’évertue mainte-