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la profonde misère de ce gouvernement : apathie dans le maître, anarchie dans les conseils, incapacité et friponnerie dans l’administration, révolte sourde des intérêts égoïstes et des passions politiques, partout un nombre tel d’abus invétérés qu’ils défient les plus hardis réformateurs. Le cabinet de Versailles n’est pas seul coupable ; l’opinion publique a sa part de responsabilité dans les défaites et l’abaissement de la France. Sans doute, on ne saurait s’étonner que Paris désapprouve, après l’avoir approuvée, une guerre si follement conduite : il a bien le droit de s’indigner en voyant tant de scandales étaler leur impunité ; son tort est d’étouffer le patriotisme sous les rancunes de l’esprit de parti, et de pavoiser son opposition avec les couleurs de la Prusse. « L’enthousiasme des protestans d’Allemagne pour le roi de Prusse ne me surprend pas, écrivait Bellisle ; mais je suis toujours en colère quand je vois les mêmes effets et le même esprit dans la moitié de ce qui habite Paris. » Comptons cet égarement de l’esprit public parmi les plus tristes symptômes de la situation que nous avons décrite. On a pu remarquer, en parcourant cette même correspondance, combien étaient, précaires les ressources du trésor en ce temps-là, combien difficiles et désespérés ses appels au crédit, avec la banqueroute sans cesse en perspective ; pareil à un débiteur suspect, le pouvoir est à la merci d’un Turcaret. Toutes les semaines, il faut que le ministre des affaires étrangères, Bernis, pour remplir des engagemens publics, pour payer les subsides promis, sollicite le financier Montmartel, qu’il l'amadoue (c’est son mot), qu’il gagne les bonnes grâces de sa femme. « Nous sommes dépendans de Montmartel ; j’ai satisfait sa vanité, je le cultive, je l’encourage. Il craint de risquer sa fortune ; sa femme l’obsède et le noircit, et moi je suis obligé d’aller lui remettre la tête et de perdre vingt-quatre heures par semaine pour l’amadouer et lui demander, comme pour l’amour de Dieu, l’argent du roi. » À cette pénurie honteuse, comparons la richesse actuelle de la France et la merveille de son crédit en Europe. Il y a donc plus d’un trait qui nous est favorable dans ces parallèles qu’on est tenté parfois d’établir entre nos malheurs récens et les époques néfastes de notre histoire ; la supériorité des temps modernes, bien qu’entamée sur certains points, se manifeste par des preuves irrécusables ; c’est à nous de rester fidèles aux principes d’ordre, de loyauté, d’union, de sage gouvernement, qui nous ont donné ces avantages, et de, nous attacher aux qualités sérieuses et fortes qui seules peuvent les maintenir et les développer.

Charles Aubertin.