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avec certitude des mœurs et un type que quelques années ont modifiés. Personne n’a mieux compris ces difficultés que George de Hahn. Ce savant, que nous venons de perdre, avait consacré sa vie à l’étude des Schkipétars. Il habita d’abord longtemps leur pays, surtout Janina et Scutari ; il fit ensuite de nombreux voyages chez les Guègues et chez les Tosques[1]. De toutes ses recherches, il est résulté que la race albanaise doit compter 1,800,000 âmes environ. Il s’en faut que cette population soit tout entière renfermée dans la Haute et la Basse-Albanie : à l’est, elle arrive jusqu’aux frontières de la Macédoine ; en Dalmatie, près de Zara, elle habite plusieurs villages ; la statistique des Slaves du sud évalue à 46,000 les Albanais qui vivent dans les pays serbes ou bosniaques. Le royaume hellénique en compte 173,000, l’Italie méridionale 85,000, qui abandonnèrent leur pays au XVIe siècle.

Les Albanais[2] de l’Italie ont depuis longtemps subi l’influence de la civilisation qui les entoure. Ceux que l’on trouve en Grèce vivent isolés dans une pauvreté et dans une inertie qui altèrent leurs qualités natives, ou se transforment et deviennent Grecs, ne retenant plus du passé que l’usage de leur langue ; même en Epire, où les Grecs cependant sont en minorité, les habitudes helléniques modifient tous les jours le caractère des Schkipétars. C’est surtout dans la Haute-Albanie, c’est-à-dire dans la province de Scodra, que la race garde ses anciennes mœurs et sa figure originale. C’est là qu’on peut voir encore ce peuple, destiné peut-être à disparaître bientôt sans laisser aucun monument de son histoire.

Il n’y a pas en Europe de race plus ancienne que les Albanais. Aucun témoignage classique ne par le de l’époque où ils arrivèrent dans la péninsule du Balkan : ils y étaient établis depuis longtemps quand les envahisseurs slaves descendirent du Danube ; ils y étaient sans doute bien des siècles auparavant. Les anciens, qui connaissaient fort mal le vaste territoire qui forme aujourd’hui la Turquie d’Europe, se bornent à répéter que d’un côté, à l’est, se trouvaient les Thraces, de l’autre, à l’ouest, les Illyriens : sous ce nom d’Illyriens, ils comprennent des populations très nombreuses qui habitaient au nord de l’Épire, entre l’Adriatique et la Macédoine. Les Albanais, qui occupaient autrefois des espaces beaucoup plus étendus, — on retrouve en effet des noms de villes qui appartiennent à leur langue dans des cantons où on ne voit plus que des Serbes ou des Bulgares, — sont les derniers restes, selon toute vraisemblance,

  1. Ce sont les deux principales divisions de la race albanaise en Turquie ; les Guègues habitent au nord du Scombi, les Tosques au sud de ce fleuve et en Epire.
  2. Sur les Albanais, voyez, dans la Revue, deux études importantes de M. Cyprien Robert, 1er août 1842, de Mme la princesse Dora d’Istria, 1er mai 1866.