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une population inoffensive, digne d’être heureuse et de vivre libre, la nécessité de choisir entre de si grands sacrifices ? La civilisation, en nous habituant à croire que le temps des conquêtes violentes est passé, qu’un peuple a désormais le droit de disposer de lui-même, rend de telles épreuves plus douloureuses encore par le contraste des rêves dont elle nous berce et de la réalité dont elle ne nous défend pas.

À la veille du 1er octobre, il fallut cependant prendre un parti, se décider à fuir ou à rester. Beaucoup n’avaient point attendu ce dernier délai pour se fixer en France ; l’exil et la rupture des liens les plus chers leur paraissaient préférables au séjour à un pays occupé par l’étranger. Ceux qui n’ont pas connu cette douleur ne savent point ce qu’il en coûte de subir chaque jour la présence de l’ennemi, de le rencontrer à toute heure comme un souvenir vivant de la défaite et de la conquête. La majorité de ceux qui optaient pour la nationalité française ne se pressait pas néanmoins de se rendre en France ; des devoirs, des affaires, des besoins, les retenaient au lieu habituel de leur résidence. L’important, pensaient-ils, était de conserver leur qualité de Français ; plus tard, il serait toujours temps d’émigrer, s’il ne s’offrait aucun moyen d’éviter ce malheur. Un vague espoir en retenait quelques-uns. Fallait-il prendre à la lettre les ordonnances des Prussiens ? Exigeraient-ils que tous ceux qui auraient opté pour la France quittassent définitivement le pays ? Aucun Français ne serait-il plus autorisé par eux à séjourner en Alsace et en Lorraine ? Qu’entendait-on d’ailleurs par le domicile réel que chaque optant devait indiquer en France pour que son option fût valable ? Ne suffisait-il pas à la rigueur de louer une chambre sur le territoire français, d’y payer une contribution personnelle, de s’absenter pendant quelques jours au commencement d’octobre, et, ces précautions prises, de rentrer chez soi comme d’habitude ?

Les autorités prussiennes, interrogées sur tant de points délicats, répondaient, ainsi qu’elles le font d’ordinaire, en termes évasifs, par des communications officieuses et personnelles, sans jamais engager le gouvernement qu’elles servent. Les unes laissaient entendre qu’on accorderait aux Français de grandes facilités de séjour, les autres qu’il valait mieux ne pas s’exposer à en avoir besoin et se placer tout de suite sous la protection des lois allemandes en acceptant la nationalité germanique. Il y eut un point cependant sur lequel elles furent d’accord à la dernière heure, c’est que le 1er octobre au matin tous les annexés qui se trouveraient sur le territoire de l’Alsace-Lorraine, même après avoir opté pour la France, seraient déchus du bénéfice de l’option et considérés comme