Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/572

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
566
REVUE DES DEUX MONDES.

enfermées ou absentées pendant les derniers jours de septembre, comme on les accuse de l’avoir fait dans quelques communes[1]. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que les nombreuses options des mineurs émancipés sont considérées comme nulles par la Prusse, ne figureront point dans les états officiels qu’elle publiera. On craint aussi qu’elle ne se réserve de traiter en sujets prussiens les optans qui rentreraient, même pour un jour, en Alsace-Lorraine, sans en avoir reçu l’autorisation formelle. La rigueur avec laquelle depuis le 1er  novembre les commissaires allemands exigent les passeports à la frontière leur permettra de reconnaître la nationalité de tous ceux qui se rendent dans les provinces annexées et de refuser au besoin aux Alsaciens et aux Lorrains, — qui rentreraient chez eux après avoir opté pour la France, — le bénéfice de l’option. Le plus sage en ce moment, si l’on veut rester Français aux yeux des Allemands, sera de demeurer en France. En attendant que la liste complète des options et des départs soit communiquée au public, si jamais nous devons la connaître tout entière, quelques détails authentiques donneront une idée des proportions énormes qu’a prises l’émigration.

Dans les trois derniers jours du mois de septembre, 45 000 voyageurs venant des provinces annexées ont traversé la gare de Nancy et inondé les rues de la cité. Aux abords de l’hôtel de ville, sur la place Stanislas, des familles fugitives s’asseyaient en cercle autour de la statue du dernier duc de Lorraine, attendant avec une dignité recueillie qu’on leur indiquât une destination ou un asile ; des groupes aux vêtemens bariolés, d’une tristesse pittoresque, se formaient silencieusement jusque sur le marbre des fontaines, près des eaux jaillissantes ; une foule si épaisse obstruait les abords du chemin de fer que les derniers venus ne pouvaient arriver jusqu’au guichet qu’après quelques heures d’attente ; des caisses, des paquets, des matelas, s’amoncelaient sur les quais et y formaient une montagne de bagages ; du milieu de cette cohue, on n’entendait sortir aucune exclamation violente, aucun chant révolutionnaire. Par intervalles seulement, quelques voix résolues acclamaient le nom de la France. C’était surtout le cri des jeunes gens, de nos futurs soldats. À la dernière heure, il en arriva un si grand nombre que l’on craignit quelques conflits avec la garnison prussienne, et que l’on dirigea plusieurs trains sur Vesoul, où un régiment de cavalerie française a remplacé les Allemands. Il partait encore des émigrés le 1er  octobre à quatre heures du matin. Sur la route de

  1. Les Allemands ont mis en général beaucoup de mauvaise grâce et de lenteur à délivrer aux personnes intéressées les pièces qu’on leur réclamait pour remplir les formalités de l’option.