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habitans, qui avaient dû se munir pour quatre-vingt-dix jours. On n’était pas pris au dépourvu.

Le siège de Belfort commençait en réalité le 3 novembre, le jour où le général de Treskow, arrivant devant la place, se disposait à l’investir, et il commençait par une sorte de sommation assez étrange du chef prussien demandant au gouverneur de la ville si sa conscience ne lui permettrait pas de se rendre pour épargner à la population les horreurs d’un siège. Le colonel Denfert répondait naturellement au général de Treskow que le meilleur moyen d’épargner à la population les « horreurs d’un siège, » c’était que l’armée prussienne se retirât. À partir de ce moment, la lutte était engagée ; l’investissement, d’abord assez incomplet, se resserrait peu à peu. On aura beau dire, les Allemands, si je ne me trompe, n’ont pas essentiellement brillé par les sièges, quoiqu’ils en aient fait beaucoup. Le général de Treskow, il est vrai, ne pouvait marcher encore bien vite, n’ayant ni assez de forces ni un matériel d’attaque suffisant ; il marchait néanmoins, il se rapprochait par degrés et s’efforçait d’étreindre la place en rejetant la défense dans ses retranchemens. C’était la première étape du siège. Le colonel Denfert de son côté tenait tête à l’orage du mieux qu’il pouvait, et tirait le meilleur parti possible des ressources d’une situation critique. Il faisait des reconnaissances quelquefois heureuses, des sorties qui ne laissaient pas de fatiguer l’ennemi en lui infligeant des pertes sensibles. Tout ne lui était pas facile d’ailleurs, même avec les « principes techniques et moraux » par lesquels il a prétendu renouveler l’esprit militaire ; il avait, lui aussi, ses misères dans sa garnison, parmi ces jeunes soldats improvisés qui se démoralisaient aisément, qui se soumettaient avec peine aux travaux et aux souffrances de la vie de siège par le temps le plus dur. Une nuit où un incendie s’était allumé à la redoute de Bellevue, il fut impossible d’obtenir des mobiles un concours qui à la vérité commençait à devenir périlleux ; ils se couchèrent dans la neige, on n’en put rien tirer.

En définitive, si le colonel Denfert faisait ce qu’il pouvait avec ce qu’il avait à sa disposition, s’il ne cédait le terrain que pied à pied, il ne pouvait se promettre de rompre ou d’empêcher l’investissement. Il ne tardait pas à perdre successivement les positions qu’il avait occupées d’abord, le village de Bessoncourt, sur la route d’Altkirch, à l’autre extrémité le village de Cravanche, au pied du Grand-Salbert, le Mont, Essert, Bavilliers. Bientôt l’ennemi s’était assez rapproché pour commencer un bombardement qui allait durer deux mois. Je résume cette situation vers la mi-décembre, après plus de trente jours de siège. Les Prussiens ne semblaient pas encore avoir démêlé le point vulnérable de la place, ils n’avançaient