Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/770

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que lentement, méthodiquement, mais ils avançaient ; déjà ils tenaient la ville sous leur canon. Belfort résistait sans fléchir sous le feu, sans se laisser ébranler, et cette défense solitaire dans un coin de la France commençait à émouvoir le pays. Rien n’était compromis encore, tout pouvait être sauvé, si la vaillante place de l’est était secourue ou dégagée par quelque diversion favorable.

D’où pouvait venir ce secours ? Il y avait Garibaldi, que M. de Freycinet appelle « le seul gardien de nos intérêts dans l’est » après le départ du 20e corps, qui était pour le moment à Autun avec son armée ou sa prétendue armée ; mais le vieux chef italien ne pouvait être d’aucun secours, et, à vrai dire, quel a été le rôle de Garibaldi dans cette malheureuse guerre, où il apparaissait dès le mois d’octobre comme un personnage fantastique de la mythologie révolutionnaire ? C’est assurément le plus bizarre épisode de cette poignante tragédie des destinées françaises en 1870. Chose curieuse, Garibaldi se trouvait jeté dans nos affaires sans l’avoir peut-être désiré bien vivement, sans avoir une passion décidée pour cette aventure nouvelle, quoiqu’il eût offert ses services au gouvernement de la défense nationale au lendemain du 4 septembre. Le gouvernement de Tours le comblait de flatteries et de caresses ; en réalité, il se serait bien passé d’un tel auxiliaire qu’on n’avait pas demandé, qui arrivait parce que les premiers venus étaient allés l’arracher de son île de la Méditerranée, et auquel on ne trouvait rien de mieux à offrir tout d’abord que le commandement de quelques centaines de volontaires italiens ramassés à Chambéry. Du coup, le vieux routier avait failli repartir pour Caprera ! Ce n’est plus ici la légende, c’est la vérité. Au fond, Garibaldi avait fait une offre d’ostentation ou de premier mouvement, il eût été secrètement charmé d’avoir fait sa manifestation et de n’être pas pris au mot ; le gouvernement français n’avait pas plus la passion de le voir arriver qu’il n’avait lui-même la passion de venir, et cependant il est venu, il a eu son rôle dans notre guerre, — et ce rôle n’a été le plus souvent qu’un bruyant hors-d’œuvre ou un embarras depuis le premier moment jusqu’au dernier.

Si Garibaldi eût été le hardi partisan d’autrefois, s’il avait pu se jeter dans les Vosges avec quelques milliers d’hommes résolus, sans traîner des états-majors, sans prétendre se donner une mission politique, en restant un soldat et en se bornant à déconcerter l’ennemi par une poursuite infatigable, c’eût été au mieux ; mais Garibaldi n’en était plus là. C’était un personnage et un personnage embarrassant par son âge et ses infirmités, par les passions et les fantaisies de radicalisme cosmopolite dont son nom était le symbole, par les prétentions et les fanatismes qui s’agitaient autour de