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prenant sa direction par Chambeuf, et ayant l’air de prendre Nuits à revers, l’autre s’avançant plus directement sur la gauche par Fenay et Saulon-la-Rue. Cremer, qui, dans une reconnaissance, avait aperçu les têtes de colonnes ennemies, prenait aussitôt et assez habilement ses dispositions sur la ligne du chemin de fer qui passe en avant de Nuits et sur les hauteurs de Chaux qui dominent la ville. Une lutte sanglante s’engageait bientôt et se prolongeait toute la journée au château de la Berchère, sur le chemin de fer, autour de Vosne. Elle était vigoureusement soutenue par notre petite armée, par la 1re légion du Rhône, à la tête de laquelle le colonel Celler se faisait tuer, par les mobiles de la Gironde que M. de Carayon-Latour conduisait au feu avec une chevaleresque intrépidité.

À qui restait l’avantage en définitive ? Il ne restait point évidemment aux Français, puisque le soir Cremer se voyait obligé de se retirer sur Beaune, peut-être parce qu’il n’avait plus de munitions, sans doute aussi parce qu’il craignait d’être coupé par la colonne de Degenfeld. La victoire restait, si l’on veut, aux Allemands, puisqu’ils entraient à Nuits ; mais cette victoire, ils l’avaient payée cher. Le prince Guillaume de Bade avait été gravement blessé devant ses troupes, celui qui l’avait remplacé, le colonel Renz, avait été tué. Les Allemands avaient perdu plus de 1,200 hommes, et dès le lendemain ils quittaient Nuits, ils reprenaient le chemin de Dijon, où ils rentraient, dit-on, assez tristes et assez démoralisés. Quelques jours auparavant, Garibaldi devant Dijon pouvait demander où était Cremer ; cette fois c’était Cremer qui pouvait demander ce que Garibaldi faisait pour lui. Garibaldi était à Autun, il dépêchait Menotti, et Menotti arrivait le lendemain à Beaune : il était trop tard ! Le fait est que, tout en écrivant à Cremer que ses opérations étaient « marquées au coin du génie, » Garibaldi ne s’entendait pas mieux avec lui qu’avec les autres généraux, et que Cremer de son côté n’aurait pas voulu plus que les autres généraux passer sous le commandement de Garibaldi. Le premier résultat de cette singulière incohérence avait été l’affaire de Dijon ; le second résultat était l’affaire de Nuits, qui avec quelques secours aurait pu être un succès, et qui ne pouvait être considérée que comme un combat soutenu avec honneur.

Ainsi, entre le 15 et le 20 décembre 1870, on en était là. Le siège de Belfort continuait, et cette résistance commençait à exciter un intérêt mêlé d’émotion. Garibaldi, renfermé à Autun, pouvait tout au plus se défendre en poussant quelques partis autour de lui. Cremer montrait à Nuits que seul il ne pouvait rien. L’invasion étrangère, maîtresse de l’est, pouvait d’un moment à l’autre s’étendre encore. C’est alors que naissait dans les conseils du gouver-