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terre, à la condition de pouvoir revenir, et il le croyait ainsi. Arrivé en Angleterre, il n’avait pas tardé à s’apercevoir qu’on avait été le jouet d’une fable imaginée par un aventurier. Il avait immédiatement repris la route de Metz, et, ne pouvant rentrer malgré la précaution qu’il avait prise de faire réclamer une autorisation du roi de Prusse par lord Granville, il était parti pour Tours. Tout avait été loyal, correct dans sa conduite. Il n’avait pas caché à l’impératrice que son épée appartenait avant tout à la France, il n’avait pas à cacher au gouvernement de Tours le caractère et les circonstances de sa démarche.

Il emportait seulement le regret de n’avoir pu aller partager le sort de ses soldats à Metz, et, chemin faisant, dans son voyage vers le centre de la France, il se sentait ému de la confusion qu’il voyait autour de lui, du désordre des troupes qu’il rencontrait. Aussi, lorsqu’à son arrivée à Tours il avait reçu l’offre des premiers commandemens de l’armée, il n’avait pas hésité à les décliner, « ne se sentant pas en mesure, disait-il, de réaliser ce que le public attendait de lui. » Il s’était borné à demander d’être envoyé dans le nord, où il espérait, s’il pouvait réunir quelques forces, se frayer un passage jusqu’à Verdun et peut-être communiquer avec l’armée de Metz. À défaut de succès de ce côté, il se proposait de se créer un noyau d’hommes disciplinés et résolus pour tenter quelque coup de main audacieux sur Beauvais, sur Compiègne, en pleines lignes allemandes, et déjà il se préparait à réaliser ce dessein, quand tout à coup le gouvernement, cédant à des criailleries d’agitateurs, à de vulgaires pressions de parti, le rappelait du nord par une sorte de révocation mal déguisée. On le destituait dans le nord, et le lendemain, avec cette étrange habitude de traiter les généraux en suspects tout en leur demandant de nouveaux services, le gouvernement donnait au général Bourbaki un commandement supérieur sur la Loire, bientôt même le commandement des 15e, 18e et 20e corps formant la première armée. Bourbaki était arrivé en pleine débâcle d’Orléans, et il ne pouvait se défendre d’une certaine tristesse en voyant cette incohérence de direction. Il acceptait sans confiance et se résignait sans illusion, doutant du succès, mais prêt à se mettre à l’œuvre, à prodiguer son dévoûment, et bien sûr de retrouver l’entraînante autorité de sa vaillante nature aux jours de combat.

Que voulait-on faire de ces soldats réunis sous le nom de première armée ? On ne le savait encore, et le général Bourbaki, comme les autres, était réduit à écrire au gouvernement : « Je vous demande de me faire connaître le plan général que vous avez adopté pour la défense nationale. » Une chose certaine, c’est qu’avant de songer à se servir de ces corps rejetés en désordre sur les