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votes. Parmi les membres du ministère, plusieurs avaient rempli des fonctions dans les sociétés Langrand, et presque aucun n’avait l’habitude du maniement des affaires publiques. Ils se défendirent très faiblement contre l’opposition. Souvent ils furent réduits à se taire ou à chercher une pitoyable retraite dans la clôture prononcée par une majorité amie. Malgré de fréquentes maladresses et plus d’une faute, ils se seraient maintenus néanmoins ; mais, par un oubli inconcevable de ce qui est dû au sentiment moral du pays, ils nommèrent aux fonctions de gouverneur du Limbourg M. de Decker, ancien ministre et homme d’état estimé des deux partis, qui malheureusement avait pris une part très active dans l’administration des affaires Langrand. Pour échapper aux créanciers, il avait été obligé de faire abandon de ses biens, et il pouvait être compris dans la poursuite des faits ou délits dont la justice continue encore l’instruction. Cette nomination, injustifiable sous tous les rapports, fut l’origine de l’incident du mois de novembre dernier. On a essayé d’en rejeter la responsabilité sur le roi ; mais le bourgmestre de Bruxelles a déclaré dans un banquet public que c’était le ministère qui l’avait proposée, et il paraît certain que le roi l’avait vivement déconseillée.

Une circonstance inattendue vint faire ressortir toute la gravité de la faute commise par le ministère. Les papiers secrets de M. Langrand furent livrés à la publicité par suite de circonstances vraiment extraordinaires. L’habile financier, en quittant Paris au moment où le siège allait commencer, avait laissé tous ses papiers dans l’appartement qu’il occupait. Les curateurs à Bruxelles en furent instruits, et ils parvinrent à faire pénétrer par pigeons dans Paris assiégé une demande d’apposition de scellés, qui fut exécutée au domicile du failli le 1er février 1871. La lecture des documens saisis ayant donné au juge-commissaire de la faillite la conviction que « des manœuvres frauduleuses de toute nature avaient été employées pour s’emparer des capitaux du public, » il crut devoir faire autographier les pièces les plus importantes, afin de faciliter la recherche des délits. C’est à l’aide de ce dossier que M. Bara, ancien ministre de la justice, est venu révéler à la chambre des représentans, dans la séance du 22 novembre, une série de faits qui provoquèrent dans tout le pays et surtout à Bruxelles une explosion d’irrépressible indignation. Ce qui mit le comble à l’exaspération du public, c’est que la majorité, pour épargner ceux de ses membres que la discussion pouvait compromettre, mit fin aux débats en votant la clôture et en autorisant le ministère à ne pas répondre. Alors eurent lieu ces regrettables manifestations qui ont attiré l’attention de l’étranger. Sans doute, elles étaient inspirées