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courante apporte chaque jour un léger surcroît de matériaux arrachés à la montagne, — telle serait l’histoire du globe éternellement modifié sur lequel nous vivons.

Cette doctrine nouvelle, qui n’a que le tort insignifiant d’assigner au monde une antiquité prodigieuse, est conforme au véritable esprit scientifique, parce qu’elle remplace les cataclysmes accidentels par le jeu régulier des forces ordinaires de la nature. L’observation des faits lui est d’ailleurs favorable. Les recherches poursuivies depuis vingt-cinq ans en tout pays, dans les plaines aussi bien que dans les montagnes, ont rendu évidente la puissance excessive des glaciers, de ceux qui pendent encore sur le flanc des montagnes, et surtout de ceux qui recouvraient l’Europe centrale aux époques antéhistoriques, lorsque le glacier du Rhône s’allongeait jusqu’à Lyon et qu’au pied des Pyrénées un autre glacier de 400 à 800 mètres d’épaisseur déposait sa moraine terminale à 15 kilomètres de Tarbes[1]. Triturant le sol à leur base, transportant à leur sommet des quartiers de roc sans en adoucir les arêtes vives, ces pesantes masses de glace glissent avec lenteur du haut des montagnes, où elles se forment, dans la plaine, où la chaleur du climat les réduit en eau. Elles attaquent la roche et charrient le déblai, reproduisant sur une immense échelle l’œuvre des terrassiers ; elles sont à la fois la pioche et le véhicule. Suivant l’expression fort exacte de M. Cézanne, « incessamment aidées dans leur tâche par l’action atmosphérique, leur force vive est inépuisable, car le soleil, comme une pompe gigantesque qui jamais ne s’arrête, aspire l’eau des mers et la précipite sur les montagnes. »

L’œuvre d’érosion et de nivellement que les glaciers ont accomplie jadis avec tant de vigueur, et qu’ils continuent sous nos yeux avec une énergie plus restreinte, les fleuves, les rivières, les torrens et les moindres ruisseaux l’accomplissent aussi, plus lentement, il est vrai, partout où les eaux courent chargées de cailloux, de sable et de boue. Les eaux qui ruissellent à la surface du sol après une pluie abondante entraînent tant soit peu de limon ; réunies dans un pli de terrain, elles roulent des graviers ; accumulées dans un ravin étroit et rapide, elles déplacent des blocs énormes, elles rongent les berges, qui leur donnent, en s’écroulant, un nouvel aliment ; puis toutes ces matières se déposent à mesure que la vitesse du liquide diminue, soit que le lit s’élargisse ou que la pente devienne moins raide. Il s’opère une sorte de triage entre les matériaux charriés. Les plus gros s’arrêtent les premiers, le gravier se

  1. Voyez les études de M. Ch. Martins sur les Glaciers actuels et la période glaciaire dans la Revue du 15 janvier, du 1er février et du 1er mars 1867.